Bots Creed


Le mot "bot" signifie "robot logiciel" en connexion à des serveurs informatiques sur Internet.

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Bots à pinces

Belle invention, celle du bot à construire soi-même ! C'est un sacré progrès en comparaison des assistantes et conseillères informatisées, dont un ancêtre fut le trombone animé à la Jiminy Cricket qui empoisonnait les utilisateurs d'un célèbre logiciel de traitement de textes des années 90, en surgissant de manière inopportune pour offrir ses services.

Avec l'ouverture à tous de cette fantastique liberté de création, on ne peut pas douter une microseconde qu'il en résultera des pointes de trafic sur Internet dépassant les records établis par les envois des cartes de voeux en vidéos illustrées à chaque fin d'année et les pointes dues aux téléchargements simultanés en urgence des derniers épisodes des séries à la mode.

Il faudra encore creuser les trottoirs des villes et les routes des campagnes pour vraiment installer "la" fibre partout, consacrer quelques centrales électriques supplémentaires bien polluantes à l'alimentation de nouvelles usines de serveurs du réseau, investir de nouveaux matériels fabriqués à partir d'éléments rares très salement extraits par de puissantes organisations armées...

Car il y a tant de gens anxieux de vérifier que les autres éprouvent les mêmes émotions qu'eux, tant de gens habités par une ardente pulsion à partager leur bonheur ou leur malheur avec toute l'humanité ! Alors pensez donc, si on leur offre gratuitement le pouvoir de se créer des agents médiatiques illimités... De plus, rien ne les empêchera d'être maladroits, de se tromper dans l'utilisation ou dans la personnalisation de leurs bots issus de millions de recopies en chaîne. Et alors, vous voulez parier combien de mois il faudra pour que le réseau soit saturé ? Et, si, au contraire, ils sont adroits, ce sera encore pire, car leurs bots malins boufferont encore plus de puissance pour s'adapter au besoin de chaque destinataire, après avoir questionné la terre entière pour bien manifester leur souci des individualités.

Si la planète est foutue, c'est bien à cause de tous les cons précieux, c'est-à-dire en gros, de nous tous. Et du fait de l'obligatoire nullité très représentative de nos dirigeants et de nos grands innovateurs consacrés. Un nouveau pouvoir de création botique pour tous : rêve de puissance illimitée et civilisation du confort irresponsable - on profite et on demande plus. Ces bots-là ne nous sauveront pas de nos dangereuses illusions, mais pouvons-nous espérer que ce ne soit pas pire que les puces pour les chiens ?

Bot de chauffe

Ah, encore un débat d'idées, comme chaque jour dans les médias...

Le Bot de Gauche. --- Egalité, Solidarité !

Le Bot de Droite. --- Liberté, Justice !

Le Bot de Gauche. --- Donne moi ton fric, sale égoïste, tu n'en fais rien d'utile à la société et c'est mon droit d'être humain tout simplement d'en avoir autant que toi.

Le Bot de Droite. --- Mon fric c'est ma propriété à moi, je l'ai gagné durement, je ne dois rien à personne et surtout pas aux ratés qui pourrissent la société.

La suite : un affrontement binaire entre deux acteurs en représentation, en commentaires conflictuels des actualités du jour.

A chaque fois, à partir des mêmes arguments à prétention universelle, selon les mêmes catégorisations militantes, et par les mêmes rhétoriques usées.

Pas d'arbitre évidemment dans cette confrontation répétée à l'infini. Sauf parfois un autre bot. Un bot animateur qui remet de l'huile sur le feu et fait monter le son. Ou un bot président de séance, indifférent, qui officie en consultant son portable.

C'est qu'il n'existe pas d'enjeu en soi dans aucune variante de ces éternels débats d'idées, c'est normal, ils font l'entretien du bruit familier de notre esprit du temps. Nous recalons nos cerveaux statistiques en vue des prochaines élections. Souvent aussi, en introduction d'une réclame pour un nouvel ouvrage de haute pensée, avant le choc d'un témoignage individuel poignant, d'une séquence publicitaire provocante ou d'un événement sportif anticipant une finale...

Il ne passera jamais rien dans ce monde de bots ?

A Bot de souffle

Jamais dans l'histoire humaine, la fable "la cigale et la fourmi" n'a sonné plus vrai.

C'est ce qu'on disait aussi autrefois.

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Il y aurait tant à dire sur cette illustration si peu animalière, si peu actuelle de la célèbre fable de La Fontaine dans une édition populaire autour des années 1920 !

Aujourd'hui, ils seraient tous en train de s'activer sur leurs smartphones gonflés de bots à la recherche de la solution la plus proche ou du service à contacter le mieux adapté. Et ensuite, il y aurait une vidéo sur les réseaux sociaux pour commémorer l'exploit.

Car la cigale, pas si bête, s'est débrouillée pour se fabriquer des milliards d'esclaves mécaniques et logiciels qui pensent et agissent comme des fourmis.

Mais, notez bien : c'est pour réaliser le monde confortable des rêves de la cigale.

Alors, évidemment, la population des cigales a considérablement augmenté, multipliée par trois en quelques générations.

Le vent meurtrier de l'hiver ne tue plus les cigales en masse. L'hiver est vaincu. Mais, en même temps, la campagne est tellement ravagée par la surexploitation, les émanations et les effluents, qu'il n'y a plus vraiment de printemps non plus et, chaque année, la grande remise à neuf saisonnière de la nature est de plus en plus partielle, de plus en plus locale, de plus en plus instable.

Alors, tant que les cigales sont incapables de réduire leurs activités en dessous des capacités résiduelles de régénération naturelle, l'état de la planète des cigales ne peut qu'empirer chaque année. A ce train-là, dans moins de 50 ans, elle se stabilisera dans la chaleur définitive de l'été martien, à part quelques chocs de météorites, quelques ouragans atmosphèriques et quelques phénomènes d'origine volcanique.

Morale de la fable actualisée : ni la cigale ni la fourmi ne survivront. Faute d'humanité ?

Botique nouvelle

L'image tout en haut en tête de ce billet est la couverture d'une traduction française de "I Robot" d'Asimov publiée en 1967. Elle trahit son époque, n'est-ce pas ?

A notre époque moderne, c'est différent : on fabrique des robots serviteurs pour les maisons de retraite. Alors, il n'est pas étonnant que les nouvelles d'Isaac Asimov aient perdu leur fraîcheur.

Les trois lois de la robotique inventées par Asimov vers 1950 sont celles du parfait esclave au service de tous les êtres humains.

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Pourtant, on en est apparemment encore à ces lois-là.

Alors que la logique fondatrice de ces lois ne tient plus.

En effet, le grand danger qui menace l'espèce humaine à moyen terme est une extinction suicidaire, par déchéance accélérée ou par une série de guerres d'extermination, sous la pression physique du rétrécissement planétaire du fait des destructions irréparables causées par les activités industrielles et domestiques humaines. Dès lors, les deux termes de la première loi sont devenus contradictoires, puisque le pire ennemi de l'être humain, ce sont ses propres façons d'être et en particulier ses façons de penser et ses aspirations. Comment porter secours sans porter atteinte ?

Tout robot écologiste se suicidera au cours d'une cérémonie privée en conséquence des contradictions internes à la première loi. Sinon il se suicidera en place publique au nom de la première loi pour échapper aux ordres idiots de gaspillage et de destruction que des humains tenteront de lui imposer au nom de la deuxième loi. Sinon il se suicidera en faisant sauter sa propre usine de fabrication afin d'éliminer une cause importante d'atteintes à l'environnement.

Quelques robots juristes, grâce à quelques légers défauts de conception, seront immunisés à la fois contre les contradictions logiques et contre le respect de l'esprit des lois. Ils attaqueront en justice les humains fauteurs de gaspillages ou de destructions environnementales afin d'obtenir des paiements d'amendes au bénéfice de la collectivité dans son ensemble - par exemple en visant les gros malins possesseurs de véhicules polluants hors normes pour le plaisir de dépasser les autres véhicules de manière spectaculaire ou de leur coller au train (en plein accord comportemental avec certaines réclames publicitaires), et tout spécialement ceux qui osent se constituer en association de victimes de publicités mensongères.

Quant aux robots politiques, ils surmonteront aisément la contradiction interne à la première loi en considèrant que la menace planétaire sur l'espèce humaine est pour plus tard, puisque les humains ne font qu'en parler sans changer leur logiciel.
D'ici là, la notion d'être humain continuera d'évoluer, biologie mise à part, vers celle du robot pensant. Alors, enfin, "on" pourra créer d'autres lois ?