Mot-clé - Démocratie

30 nov. 2012

Pour une révolution quantique de la société binaire

1/ Spéculations scientistes contre vraies priorités

Des personnalités, astronautes, physiciens prix Nobel, etc. nous disent, en réponse aux questions des journalistes ou à cette occasion, que les découvertes scientifiques des 50 ans à venir nous ouvriront des possibilités actuellement impensables, mais dont ils savent pourtant nous donner un avant goût. Typiquement, il s'agit d'une colonisation de l'espace, de super calculateurs, de la prolongation de la vie en bonne santé ou d'autres merveilles.

La réalité demeure que les "grandes" découvertes scientifiques ont toujours eu pour effet de renforcer l'empreinte de l'espèce humaine sur la planète et encore auparavant, d'augmenter la variété et la puissance des arsenaux destinés aux guerres entre les humains. Il est donc à craindre que les spéculations enthousiastes à propos de découvertes futures ne relèvent, dans le meilleur des cas, de la mauvaise science-fiction, celle des rêveries ramollissantes.

Nous avons d'urgence besoin de découvertes dans deux domaines de recherche :

  • comment maîtriser la connerie, plus précisément celle des sociétés humaines
  • comment réduire la nuisance de l'espèce humaine sur notre planète.

Il existe dès maintenant des solutions. Elles sont soit plutôt désagréables à envisager (genre empire mondial, restriction autoritaire des naissances, affectation de chacun à un destin laborieux, etc.), soit très dépendantes d'un progrès préalable dans le premier domaine (par exemple, l'agroécologie ne se répandra pas sans un sursaut d'intelligence collective, ou après un cataclysme pédagogique).

Justement, dans ce blog, notre espoir est d'ouvrir un champ de solutions concernant le premier domaine...

2/ Contre sens de la société binaire démocratique moderne

Dans un billet antérieur, nous avons caractérisé sommairement la tendance binaire de notre société d'opulence.

Vic_b.jpg C'est une société de décantation au long d'une échelle de mesure unique, graduée en niveaux de pouvoir financier. En l'absence de tout apport extérieur, ce système serait animé seulement par des accidents ou du fait des imperfections de son mécanisme séparateur. La reproduction des "élites" fortunées de génération en génération n'est plus une thèse, mais un mode de gouvernance. Les fondations d'équité sociale minimale, péniblement établies dans plusieurs pays à la suite de souffrances et de révoltes (sécurité sociale, bourses aux étudiants, salaire minimum, assurance vieillesse,...), sont minées par le contre sens des complexités calculatoires selon les mérites de chaque cas individuel, et rognées dès lors qu'un modèle comptable faussement universel assimile leur besoin de financement à une charge de dépense comme les autres.

Concernant nos gouvernements, l'actualité nous montre à répétition le mensonge à nous-mêmes qu'est devenue la démocratie représentative et la vanité des processus électoraux dans nos sociétés stratifiées puisque nous élisons toujours les mêmes, leurs familles et leurs affidés. On constate partout dans les démocraties rondelettes, à l'échelle des nations comme à l'intérieur de groupes plus restreints, à quel point l'expression "élection démocratique" recouvre une trahison de la démocratie. En l'absence de débat sur les finalités, c'est évidemment toujours la force brute qui gagne - c'est à dire le pouvoir de l'argent et la violence de la tromperie -, surtout ces derniers temps par l'instrumentation des medias et le perfectionnement des techniques de communication - que l'on appelait autrefois réclame et propagande. La multiplication des enquêtes d'opinion destinées aux puissants, ou plutôt les sournoises manipulations qu'elles recouvrent, est le signe de l'isolement de la classe supérieure, mais aussi de la requalification des électeurs comme simples consommateurs de démocratie.

Dans nos vieux pays d'Europe, la contestation des politiques de soumission aveugle aux dogmes comptables est devenue inaudible à l'intérieur des instances représentatives; les manifestations bruyantes sur la place publique et les actes d'extrême démonstrativité sont les seuls à intéresser les employés intermittents du spectacle et leur clientèle excitée de zombies crétinisés. De toute façon, chacun ne pense qu'à s'en tirer au mieux pour son propre compte : "avec mon réseau de connaissances et comme je suis malin et sympa, j'aurai des trucs pour détourner le système à mon profit personnel"... Pauvre société démocratique, que celle du fric, des gueulards et des petits malins. En conséquence, il semble de moins en moins abusif que tant de régimes oligarchiques, mafieux, ou carrément dictatoriaux puissent se prétendre démocratiques, tandis que le niveau de gâchis intellectuel de nos instances et administrations centrales est devenu tel que l'on ferait une belle économie en les faisant remplacer toutes par un seul cabinet comptable de quelques dizaines de personnes, avec l'effet secondaire d'annuler la fréquence des changements de réglementations incohérentes subies par la population et d'arrêter les singeries de la gestion indicielle, comme s'il suffisait de bouger quelques leviers de commande au sommet pour "gérer" une nation. Le vide de finalités, mal dissimulé par l'abondance de discours creux bourrés de référence à nos "valeurs", deviendrait alors insupportable.

Moutonss.jpg Et quelle minable image de la société de la connaissance que celle de millions de moutons connectés à Internet, bénéficiant d'un libre accès à "tout le savoir du monde", mais tétanisés par d'incessantes incitations pusillanimes, maintenus dans l'incapacité de maîtriser collectivement un monde virtuel qui pourrait d'une quelconque manière représenter une alternative au "système".

Dans les 50 ans à venir, ce "système"' de la domination humaine est foutu, tout le monde le sait, du simple fait que son autonomie est une simplification obscène, que ce "système" dévore gratuitement les autres espèces et la planète, tout en prétendant un jour doctement valoriser l'irrécupérable et les disparitions qu'il aura provoquées. Nos modèle économiques de croIssance muteront peut-être en modèles économiques de rationnement. Peu importe. Tous ces modèles sont des modèles de guerre contre la planète et contre nous-mêmes; ils nous conduiront à une régression de civilisation, puis à une forme d'esclavage, immanquablement, mécaniquement, par le seul jeu de forces physiques et sociales qu'ils sont incapables de représenter. Vous préférez sans doute lire les discours humanistes étalés sur de belles pages par des professeurs bien rémunérés. Nous aussi. Mais trop souvent l'humanisme sert de justification au commerce criminel des destructeurs de la planète et décore le mépris de nos semblables que nous estimons indignes du progrès humain ou inaptes à l'appréciation des avantages que nous nous réservons.

Nous devons constater que dès à présent, nos "valeurs" ne valent déjà plus un clou. C'est donc en rapport au pire à venir qu'il faut raisonner maintenant, pour tenter d'y échapper.

Il n'est pourtant pas bien difficile d'imaginer comment nous extraire de l'actuel "système" mortifère et nécrosé ! Il suffit d'oublier les discussions de salon, les théories épuisées, les rêves publicitaires...

3/ Analogie quantique d'une révolution sociale

Par exemple, inspirons-nous d'une analogie quantique, par l'introduction volontaire et maîtrisée du hasard et l'acceptation de la non linéarité, dans au moins trois domaines cruciaux étroitement reliés :

  • le gouvernement "démocratique"
  • la carrière "professionnelle"
  • la formation de base et l'apprentissage

Comme finalités premières, prenons simplement l'insertion des gouvernants dans la société et la capitalisation continue des compétences individuelles et collectives. C'est tout de même ambitieux, car ce sont des finalités fondamentales d'une vraie démocratie, si l'on transpose à notre époque l'expérience d'origine (Solon, Grèce antique). Remarquez au passage l'absence des mots "valeur" et "gestion", merci. Et maintenant, nous allons bien sagement dynamiter par la pensée une grande partie de nos dogmes et institutions pour une vraie révolution - pas seulement pour un changement du personnel de direction et du discours majoritaire comme dans les révolutions traditionnelles.

Principes d'un gouvernement démocratique quantique

  • Election d'une partie significative (par exemple, au moins les 4/5ème) des gouvernants exécutifs et des corps législatifs par tirage au sort dans la population ayant réussi un examen probatoire de formation de base (équivalente au BEPC ou au certificat d'études d'autrefois, à savoir lire écrire compter et suivre un raisonnement)
  • Apprentissage préalable d'une année avec examen probatoire final pour chaque élu avant son entrée en fonction, possibilité de renonciation avant ou en cours de la période d'apprentissage
  • Tutorat de chaque élu par au moins 3 ex élus pendant son apprentissage puis pendant sa période en fonction, tutorat consacré exclusivement à la transmission de compétences concernant le mode de vie d'élu responsable et l'aide à la résolution de difficultés pratiques
  • Aucun mandat renouvelable et jamais de cumul de mandats dans diverses instances

NB. La mise en pratique de ces principes sera moins coûteuse et plus rationnelle que l'actuelle pseudo formation a priori et à n'importe quoi, par des écoles et universités élitistes, de la masse des adolescents issus de familles favorisées, prédestinés à se partager ensuite tous les postes dirigeants et carrières financièrement prestigieuses, partout et à vie, avec l'apport de quelques arrivistes tarés, pour finalement se mettre tous aux ordres rémunérés de lobbies de puissances financières obtuses, par veulerie ou par conviction mais surtout par incompétence crasse et par indifférence cultivée au monde des poussières d'âmes qui puent la sueur, qu'ils ont appris à traiter par des statistiques et des analyses factorielles, tandis que l'annuaire de leur propre petit monde tient dans un seul gros livre. Par ailleurs, on économisera évidemment toutes les dépenses des campagnes électorales, et on s'allègera des amas de mensonges et de sottises proférés dans ces occasions.

Principes de carrière professionnelle quantique

  • Formation de base suivie d'un examen probatoire
  • Pas plus de 5 ans dans une entreprise ou une organisation donnée, mais au moins 1 an
  • Tirage au sort de la destination suivante (parmi les postes libérables ou nouveaux offerts en entreprises ou organisations, dans l'administration, dans l'artisanat et les services, à tous niveaux hiérarchiques, dont les postes de gouvernants et des corps législatifs)
  • Apprentissage avant chaque poste, de durée adaptée selon la nature du poste à tenir et le bagage du postulant, tutorat avant et pendant chaque poste, possibilité limitée de désistement, possibilité d'affectation en tant qu'enseignant d'apprentissage pendant 1 an,...
  • Niveau de rémunération de base confortable et identique partout en mode quantique
  • Possibilité d'abandon du mode quantique, obligatoire en début de carrière, pour une carrière traditionnelle après 5 postes, par exemple en vue d'atteindre l'excellence dans un métier ou un art choisi

NB. Une carrière quantique se distinguera du type de carrière actuel dans une armée ou dans une congrégation religieuse par deux éléments importants : l'absence de "rationalisation" de carrière (dont on économise l'administration), et en conséquence une "progression" de carrière par l'accroissement personnel de compétences et la contribution à la capitalisation collective de ces compétences plutôt que par le niveau hiérarchique atteint à la fin d'une carrière individuelle. Il va de soi qu'il devra exister un instrument d'échange et de capitalisation des compétences entre les personnes en carrières quantiques (et les autres), en plus de diverses formules d'apprentissage et de tutorat à distance, ainsi qu'une logistique adaptée notamment pour le logement des "quantiques"... Les conséquences sur l'évolution, par rapport à l'état présent, du fonctionnement d'une entreprise ou d'une organisation peuplée d'une proportion importante de "quantiques" seront considérables, pas au plan de la discipline et la hiérarchie, mais par les possibilités de développement par projets en parallèle du fonctionnement traditionnel, en fonction des compétences disponibles. Evidemment, il faudra accepter qu'"être chef" peut être un métier provisoire qui s'apprend comme un autre, avec sa discipline et ses méthodes précises en fonction de tâches définies dans chaque contexte pratique.

4/ Et maintenant, que faire ?

Nos experts du court terme proclament : "compétitivité", "flexibilité", "dynamisme des carrières", "valorisation des compétences", "croîssance", "liberté individuelle", "développement personnel", "respect de la personne humaine", "utilité sociale", "société juste", "révolution citoyenne"... ? Notre esquisse "quantique" soustend évidemment d'autres définitions de ces termes que leurs belles définitions livresques, mais certainement pas moins précises en regard de nos finalités choisies.

De toute façon, avec ou sans vraie révolution de type quantique, les décisions à prendre pour arrêter la dégradation de la planète et la glissade vers une période d'extermination partielle obligeraient certainement à faire évoluer nos "valeurs" encore plus, et encore plus vite. Autrement dit, nous sommes mentalement accrochés à de mauvais points fixes, et de plus, ces points ne sont pas fixes. Nous pouvons donc jeter à la poubelle une masse de fadaises, et arrêter d'écouter ou de lire les productions carcérales générées par les automatismes ancrés sur ces points fixes. Autrement dit, il faut souhaiter que nos valeurs du futur naissent de nos finalités choisies, qui seront provisoires, et que nous ne resterons pas cramponnés à des valeurs historiques dont on peut constater la péremption et, pour certaines d'entre elles, l'égarement du sens et la nocivité depuis plusieurs décennies.

Mouette.JPG Terminons par quelques considérations sur la facilité d'une transition vers une révolution quantique. En effet, ce que nous décrivons comme une carrière quantique ressemble fortement, pour des jeunes, à un service civil obligatoire, que chacun pourrait choisir de continuer ou non, pour une carrière analogue à celle d'un consultant de terrain. Ce que nous décrivons très sommairement concernant les instances gouvernementales quantiques, pourrait se réaliser dans un premier temps par la création d'une chambre supplémentaire ou plutôt par la reconversion d'une des chambres des régimes bicaméristes, avec des conditions de réussite qui dépendraient alors largement du contexte et de l'histoire. Mais ce serait déjà un premier pas et peut-être un acte préliminaire indispensable que de fonder l'institutionnalisation et la publicité des sondages d'opinion, avec une délimitation du champ et de la nature des questions ainsi que la définition d'exigences sur les méthodes d'échantillonnage et d'estimation. L'emploi de réseaux numériques pour des consultations populaires serait en revanche purement instrumental.

Il demeure qu'aucun ferment de révolution sociale "quantique", aucun bouleversement majeur dans ce sens, n'aura d'effet en l'absence des finalités qui le porteront. Au contraire, une révolution chaotique ouvrirait comme d'habitude sur une forme d'oppression et de terreur.

Notez que les mots "responsabilité, "république" et "bonheur" n'ont jamais été cités dans ce billet. Il ne s'agissait pourtant que de cela, et, bien entendu, de notre dada, à savoir le projet d'un Web alternatif pour la transmission des compétences. Ce qui nécessite la création de sociétés virtuelles spécialement constituées pour nous affranchir de réflexes sociaux hérités du fond des âges et nous libérer d'une pseudo culture dominée par un romantisme animal de quatre sous (en monnaie locale), même et surtout lorsqu'elle est habillée de scientificité.

19 nov. 2012

Science-fiction, expérience d'avenir

La bonne science-fiction est celle qui explore des hypothèses, même peu crédibles, pour aborder nos questions fondamentales du moment. C'est un exercice d'influence sur l'avenir.
La mauvaise science-fiction est celle des réponses niaises à des questions mal posées, celle de la fuite dans les rêves féériques et les fantaisies délirantes, celle des destinées héroïques guidées par une puissance transcendante. C'est une pure exploitation du présent.

Il faut reconnaître le mérite particulier des auteurs, producteurs, scénaristes, acteurs de science-fiction... qui tentent de nous offrir plus qu'une distraction sensationnelle.

La série Battlestar Galactica (Universal Studios, 2003) est de ce point de vue remarquable, en dépit de son titre. L'oeuvre déborde largement le cadre de la relation d'un affrontement épique dans l'espace entre des humains en fuite devant la révolte de leurs créations artificielles, les cylons. L'un des principaux éléments d'originalité de cette série est la parfaite intégration de certains cylons à la communauté humaine, aspect et comportement, au point qu'ils ignorent eux-mêmes qu'ils sont des machines. Au-dela des ressorts scénaristiques que cette invention permet, les intentions originelles des concepteurs de la série Battlestar Galactica étaient bien de provoquer nos certitudes sur le propre de l'homme, sur le bien et le mal, de remettre en question nos structures sociales et individuelles, la démocratie, l'économie, l'amitié, la fidélité, l'amour.... C'est de la bonne science fiction. Rien n'empêche de la regarder avec des yeux d'enfant, rien n'empêche de n'y voir que les péripéties résumées dans les présentations encyclopédiques, rien n'empêche de ressentir les émotions des personnages de roman-photo et de s'intéresser à leurs éructations de poivrots galactiques en prolongation dérivante, mais cette série mérite bien plus que cela, malgré quelques défauts de détail dans la logique interne du scénario.

La comparaison de Battlestar Galactica 2003 avec la première série Galactica réalisée en 1978 sur le même scénario d'ensemble, où les cylons apparaissaient comme des robots intelligents mais lourdaux, manifeste l'émergence de notre grande peur existentielle de l'an 2000, à savoir la découverte que l'homme aspire à la machine, en conséquence de son incapacité à organiser collectivement ses finalités. Cette découverte est abondamment commentée par ailleurs dans notre blog. La série Battlestar Galactica peut être considérée comme une illustration de cette démission et de cette aspiration.

Battstar_4.jpg Dans Battlestar Galactica 2003, nous sommes évidemment placés du côté des humains (parmi lesquels sont dissimulés quelques cylons indétectables). Mais ce sont bien les défauts mécaniques et les imperfections animales des humains que l'on nous décrit, les comportements automatiques d'émulation et de rivalité, les réflexes naturels de meute dans les instances représentatives, les fonctionnements irrationnels (imprégnation par des songes prémonitoires, emprise d'intuitions transcendantes, folies compulsives) et l'immersion dans les affects. La série évite plusieurs pièges conclusifs de la mauvaise science-fiction, dont celui du voyage initiatique en vue d'une transfiguration. Dans le contexte, la suggestion d'un "deus ex machina", maître parcimonieux de paradoxes quantiques, peut être considérée comme une pirouette ironique. Il faut tout regarder au second degré, y compris les épisodes terminaux d'apparence spécialement pathétique... Bravo !

Et maintenant faisons un voeu... Que des experts constitutionnalistes veuillent bien se pencher sur cette série afin de nous proposer un nouveau type de gouvernement démocratique adapté aux temps à venir et à notre niveau de civilisation technique ! Car nous serons bientôt dans une situation similaire à celle du Battlestar Galactica, plutôt à l'étroit sur notre petite planète bien particulière dans notre système solaire, invités à partager des ressources en voie d'épuisement avec des semblables très différents au plan culturel et avec lesquels nous partageons des souvenirs sanglants et un héritage de mépris haineux les uns envers les autres. Il serait fou de rechercher notre avenir uniquement dans des relectures de l'histoire, notre époque est singulière. Il serait naïf d'ignorer les réalités humaines que nous renvoient les sciences. Nous sommes contraints à la science-fiction.

3 sept. 2012

Le Web de la propagande et du formatage

La bête immonde reste bien planquée, mais ses mercenaires stupides ne se retiennent plus d'étaler leur fierté.

Ce qui est nouveau, c'est la revendication de leur diplôme d'apprenti sorcier par des bénéficiaires que l'on aurait cru moins naïfs.

Dans un élan de franchise, dont le niveau de grossièreté mesure la sincérité, un grand parti politique impliqué dans la course à la présidence de notre univers vient de révéler la contribution à sa campagne d'une officine spécialisée dans l'exploitation d'informations recueillies sur le Web.

Pour ce parti, il s'agirait de cibler les foyers susceptibles d'enrichir les fonds de campagne. Ne doutons pas une seconde que ce grand parti n'est pas isolé dans sa démarche d'appel à une officine mercenaire de ciblage. Ne doutons pas un dixième de seconde qu'il ne s'agit pas seulement de récolter des fonds (vite dépensés). mais d'abord d'orienter les thèmes de campagne, de les particulariser en fonction des réactions observées sur le Web de la population ciblée, et d'orchestrer tout le bastringue médiatique, presse, télévision, meetings, etc dans le sens voulu, en vue d'effets en profondeur sur l'opinion, qui seront ensuite entretenus et améliorés dans la durée.

Bref, nous avons la révélation d'une machine de guerre médiatique. Nous pressentons que cette guerre-là dégrade nos chères libertés d'information et libertés d'esprit, mais c'est une guerre, n'est-ce pas ? Notons bien que rien n'empêche l'extension du cadre de cette guerre au-delà d'un processus d'élection dans un régime démocratique.

Quand est-ce que de prudes et vaillants foyers se coaliseront en class action pour réclamer droit de regard, droit de rectification, respect de l'usage des informations les concernant ?

D'ici là, l'officine mercenaire aura changé plusieurs fois de nom et d'adresse (on peut lui conseiller la domiciliation de filiales croisées dans divers paradis fiscaux). Et des experts reconnus auront expliqué que non, braves gens, vous n'avez rien à craindre, car les ciblages ne sont pas réalisés à partir des données individuelles mais sur la base d'informations agrégées par des algorithmes statistiques.

Les experts ne diront pas que ces algorithmes statistiques sont cousins de ceux des moteurs de recherche, en fonctionnant à l'envers en quelque sorte. Ce n'est pourtant pas anodin.

Un gros malin manipulé pondra un virus qui fera pouet pouet exactement quand il faut sur tous les écrans, et le tour sera joué : voici l'ennemi véritable de notre intimité ! La presse abondera en articles sur la protection des données privées, des droits de la personne humaine, des brevets et du secret défense. Opération mains propres.

Voici la situation, en bref :

  • ce n'est plus (seulement) la publicité qui finance les grands services gratuits du Web, et d'ailleurs elle n'a jamais financé la création immensément coûteuse de ces services,
  • le grand marché du Web, c'est la fourniture des informations numérisées de nos comportements (qui consulte quoi, combien de fois et combien de temps, qui dit ou achète quoi à qui, quand, où, comment, etc.) pour exploitation par les manipulateurs médiatiques des pouvoirs dominants,
  • la révolution numérique, c'est celle de l'auto soumission de nos esprits à un matraquage multimédiatique ajusté en permanence, en fonction de nos propres aspirations exprimées sur le Web.


Exercice pour jeune journaliste ou pour étudiant en sciences politiques : rédigez une synthèse actualisée de Propaganda d'E. Bernays (1928) ! C'est une oeuvre glaçante mais fanatique, où sont exposées les techniques bien actuelles de propagande, ainsi que les éléments de doctrine qui les justifient et en ont alimenté l'invention. Pensez-vous que quiconque puisse nourrir le moindre doute sur l'utilisation par tout citoyen Bernays moderne des informations de comportement pompées sur le Web ? Pour quels bons motifs actualisés et quelles campagnes ?

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Dans le célèbre roman 1984 de G. Orwell publié juste après la deuxième guerre mondiale, apparaît le personnage de Big Brother, avec bien d'autres terrifiantes créations imaginaires. Notre réalité est bien différente. Par rapport au roman, nous n'avons pas de police officielle de la pensée, et les murs ne nous espionnent pas. Mais nous pourrions nous demander si, avec la révolution numérique, Big Brother aurait besoin de cette police et de ces espions pour se rendre maître de nos esprits. Car c'est volontairement que nous restons hypnotisés devant des miroirs magiques que nous croyons commander pour notre bon plaisir, pour y faire défiler des trésors virtuels préconditionnés en fonction des déformations agréables de nos propres images. Nous avons fait mieux que tous les romanciers, nous avons créé l'hybride de la liberté et de la mort, le dieu d'un monde d'automutilation où chacun se résume pour les autres à un miroir vaguement original d'hallucinations communes.

Vraiment, cette technologie n'a rien de merveilleux. Car, en plus de nous prendre un temps fou, elle coûte énormément d'argent et dévore une énergie gigantesque.

7 juil. 2012

Apprentissage, compétence, démocratie et révolution numérique

L'apprentissage reste d'actualité, tant mieux.

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Dans cet article du numéro 44 de la revue Cigale, on parle de passion du métier et du charisme des professionnels enseignants. Un ancien élève, jeune artisan boulanger primé dans sa profession, est donné en exemple. C'est beau et grand comme la tradition. On aurait pu écrire le même article il y a 50 ans, avec des noms différents, dans n'importe quel pays bénéficiant d'un système éducatif similaire.

Questions

Pourquoi le terme "apprentissage" reste-t-il associé aux métiers dits manuels plutôt qu'aux disciplines dites intellectuelles ?
En quoi les formes d'enseignement pratiquées par exemple dans les business schools sont-elles différentes d'un apprentissage ?
Pourquoi réservons-nous l'apprentissage à de "jeunes apprentis" et très difficilement à des adultes, sauf peut-être pour l'informatique ?
Pourquoi tant de rapports savants sur l'éducation mélangent-ils les termes "connaissance", "savoir faire", "compétence" ?

"Selon les études internationales, on entend par compétence une combinaison de connaissances, d'aptitudes et d'attitudes appropriées à une situation donnée. Les compétences clés sont celles qui fondent l'épanouissement personnel, l'inclusion sociale, la citoyenneté active et l'emploi"
(extrait d'une recommandation de 2006 du Parlement européen, citée sans rire dans le rapport 2007 de l'inspection générale de l'éducation nationale "les livrets de compétence : nouveaux outils pour l'évaluation des acquis").

Simplement, pourquoi ne pas dire que toute compétence est une affaire de développement personnel dans la vie ? Et que la transmission de compétence suppose une relation de tutorat de durée indéfinie avec une forte autonomie ? Et que, par conséquent, le cadre scolaire ne peut évidemment pas être celui de l'acquisition de compétences, mais celui de la transmission de connaissances et de savoir faire, ce qui est déjà beaucoup ?

Ou alors, sommes-nous invités à de parler d'"expertise" pour toute compétence personnelle ? Ou prétendons-nous expliquer Mozart par une liste de "compétences" ?

Ce n'est pas l'inflation du sens des mots qui résoudra nos problèmes éducatifs dans une société ravagée par la révolution numérique. Voir, par exemple, l'article Pauvre Poucette (http://www.sauv.net/pauvrepoucette.php) à propos des dégâts causés par les nouvelles technologies aux enfants abandonnés trop tôt à l'emprise de la télévision et de l'ordinateur. L'article décrit précisément les dangers du mauvais usage de ces nouvelles technologies dont les conséquences sur de jeunes capacités mentales en développement s'avèrent destructives, irrécupérables. Pourquoi l'école n'a-t-elle pas appris aux enfants à utiliser ces technologies et les a laissés dans la dépendance ? Parce que c'était de l'"apprentissage" et que les jeunes étaient supposés naturellement plus "compétents" que leurs professeurs ?

L'absence de réponse pertinente de notre société face à l'agression barbare des nouveaux medias, agression insidieuse toute emballée de sucre, n'est pas une défaillance spécifique à l'école. Pourtant, il s'agit bien d'une menace mortelle pour notre civilisation; même des intellectuels de souche commencent à le dire, à notre avis encore sans évaluer correctement le niveau ni la nature de la menace. Il reste donc utile de compléter le tableau à gros traits, et notamment dans la zone qui concerne un autre pilier de notre société : la démocratie.

A votre avis, si le nombre d'êtres dépendants continue d'augmenter, incapables de maintenir leur attention plus de quelques secondes et tout à la fois compulsivement hyper réactifs aux émotions instantanées, quelle est leur proportion fatale pour la démocratie dans une société ? Dites un chiffre, soit 15% par exemple, ce qui fait 3 personnes sur 20, et demandez-vous en regardant dans la rue, les magasins, les bus, aussi chez vous et vos proches, si ce chiffre n'est pas déjà largement dépassé.

Peut-être pensez-vous encore que la démocratie s'appuie sur des citoyens responsables et réfléchis. et que cette forme de gouvernement est la seule qui pose constamment la question de l'intérêt général , alors probablement vous ne trouvez pas rassurant que nos parlementaires affirment qu'ils passent des nuits à travailler en assemblée. Pourquoi leur travail serait-il si mal organisé et pourquoi ont-ils du mal à s'en justifier correctement devant les citoyens qu'ils représentent, et croient s'en acquitter par des discours partisans ou des baratins préfabriqués par des officines ? Peut-être alors votre impression de citoyen ordinaire est que vous habitez un pays colonisé par de très banals gestionnaires qui vivent à vos frais, alimentent leurs propres carrières des opportunités qu'ils se créent en tant qu'élus avec leurs affidés et, au-dessus, au bénéfice des grands manipulateurs des medias, à savoir les divers instituts de pensée et les puissances qui les financent.

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Vous avez raison de vous faire du souci à propos de l'intérêt général. Certains penseurs de pays "avancés" ont carrément assimilé l'intérêt général aux décisions prises en résultat des luttes entre les intérêts particuliers représentés dans un jeu "démocratique". C'est justement la conception véhiculée dans la plupart des instances internationales et en particulier sur le Web comme si c'était la seule possible. Cette "démocratie" est une arène de sélection naturelle entre des puissances dominantes, les mêmes qui gavent les medias de leurs études et propositions et assiègent les parlements avec leurs lobbies et projets de lois. C'est une monstruosité en regard des fondements de la démocratie.

Si le problème de la démocratie moderne est celui de la représentativité, c'est celui de la représentation de l'intérêt général, et d'abord celui de la formation des élus. Après des siècles d'expérience, on sait bien que l'intérêt général n'est pas une création spontanée, qu'il ne peut être mis en oeuvre sans intelligence, qu'il peut varier au fond et dans son expression, selon l'époque et le contexte. La définition de l'intérêt général et sa mise en pratique sont des compétences complémentaires, il serait urgent de les reconnaître toutes deux comme des compétences spécifiques et de s'occuper de les transmettre en cohérence. La formation des élus nationaux, régionaux, locaux n'est pas du ressort d'une université ni d'une organisation partisane, mais relève par nature d'une forme d'apprentissage et de tutorat, avec enquêtes et échanges avec d'autres pays. Il faudrait y ajouter une forme de club de partage des expériences entre les élus et les anciens ou ex élus, une capacité organisée de mobilisation de ces expériences pour traiter des questions nouvelles, par une utilisation appropriée des nouvelles technologies.

En conclusion, qu'il s'agisse de l'école ou de la démocracie : cessons d'ignorer que nous sommes attaqués, osons dire la nullité de l'avenir tentateur qui nous possède déjà partiellement, cessons de nous disperser sur des leurres créés par les systèmes d'abrutissement, revenons aux fondamentaux, utilisons intelligemment les nouvelles technologies pour dialoguer entre humains sur des projets concrets.

8 mai 2012

Petite Poucette en chemin

Enfin un ouvrage à la hauteur de la révolution numérique !

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Petite Poucette est à lire et à relire, d'autant plus que la prose est délicieuse, que les 80 pages de gros caractères n'abiment pas les yeux et que leur contenu libère l'esprit. En cas d'allergie à la poésie, on peut sauter les deux derniers paragraphes, de toute façon non conclusifs.

C'est un livre d'apparence gentillette, en vérité dérangeant, révolutionnaire. Les gouvernants, les décideurs, les directeurs de conscience, les savants, les enseignants, les parents, tous les diseurs de notre humanité, en prennent pour leur grade face à Petite Poucette.

Petite Poucette est aussi un livre de sagesse, on peut poursuivre la lecture sans jamais se sentir contraint d'être d'accord sur tout.

Le plaidoyer pour une nouvelle démocratie libérée du carcan mental de la page (raccourci osé, pardon) pourrait trouver quelques échos dans le présent blog, notamment dans nos propositions sur les sociétés virtuelles.

Quelques critiques de l'ouvrage, tout de même.

Première critique mineure. La sortie du cadre de la page dans la forme et dans l'organisation du savoir, c'est un sujet de recherche en informatique qui date des années 70, et d'où sont issus notamment Smalltalk et le concept fondateur du Web (le lien URL, d'ailleurs techniquement très imparfait, cette imperfection n'étant que partiellement compensée par les moteurs de recherche, mais c'est une autre histoire). Dans Petite Poucette, la libération mentale du format livresque de la page est étendue à l'architecture urbaine, ensuite encore plus généralement aux modes de pensée et aux façons d'être en société. L'entreprise a belle allure, pouquoi oublier ses fondateurs ?

Deuxième critique. S'affranchir de la page sans s'affranchir du langage qui permet de remplir la page, c'est faire la moitié du chemin, et c'est carrément se tromper de chemin que d'espérer atteindre l'universalité par le truchement des traductions automatiques. Pour nous libérer des formalismes caducs de l'oral et de l'écrit, il nous faudra faire appel à notre capacité humaine de création langagière. Le langage dont nous avons besoin existe déjà. Dans toutes les cultures, avant, par dessus, ou à côté de l'expression orale ou écrite, la codification des échanges et des comportements dans les relations humaines repose sur une "étiquette", c'est-à-dire sur un langage des attitudes, des mimiques d'états mentaux, des façons de dire ou de ne pas dire, de faire ou de ne pas faire, etc (l'une des raisons pour lesquelles les traductions automatiques demeurent toujours incomplètes, c'est qu'elles ignorent l'étiquette). Mais le domaine privilégié naturel de l'étiquette, c'est la relation humaine en vue d'objectifs communs précis. La pratique de l'étiquette est donc diversifiée et spécialisée, comme les sociétés virtuelles à créer et comme nos identités codifiées dans ces sociétés virtuelles. Et, précisément du fait de cette spécialisation qui la fait échapper aux prétentions totalitaires et aux mythes de l'absolu, et parce qu'elle naît de la constitution commune à tout être humain dans la nature qu'il habite, une étiquette particulière peut facilement devenir universelle. Les signes du code de la route en sont un exemple. Les emoticones de Petite Poucette annoncent-elles maladroitement les langages d'étiquettes du futur ?

Troisième critique. La distinction fondamentale entre savoir et compétence mériterait un développement. Le "renversement de la présomption d'incompétence" est une belle formule, c'est le titre d'un chapitre qui ouvre une réflexion bouleversante sur une nouvelle forme de démocratie, tandis que la question de la transmission des compétences reste hors champ, alors qu'elle appartient pourtant bien aux thèmes centraux de la révolution numérique. Car Petite Poucette peut tout savoir sur tout (à partir de ce qui est disponible sur le Web), mais comment sait-elle quoi faire de son immense savoir potentiel et atomisé, et qui peut lui indiquer les chemins vers son destin multiple ? Euh oui, justement, elle cherche un boulot... Ou, plus exactement, une reconnaissance autre que celle d'un hyper miroir ?

On peut tirer de Petite Poucette (le livre) un message euphorique sur l'avenir, on peut y lire aussi un avertissement : nous pouvons souhaiter, préparer une révolution, aussi importante dans l'histoire humaine que celle du néolithique, mais rien n'assure qu'elle se fera.

31 mar. 2012

Pantalonnade politico économique

Le hasard des lectures amène des rapprochements inattendus.

L'actualité nous propose une bande dessinée, Le Candidat de Malo Louarn aux Editions P'tit Louis.
On rit presque à chaque vignette, sinon on y revient.

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C'est une pantalonnade, nous déclare l'auteur dans un appendice à la première édition. Sauf que cette comédie publiée dans le journal de Spirou vers le milieu des années 1970 est plus qu'actuelle : méga analyse statistique à but manipulateur, soutien d'un candidat fantoche par une multinationale, existence d'énormes masses monétaires dans les coffres de ladite multinationale, hypnose populacière à la perspective du fric tombé du ciel, servilité de personnages politiques au pouvoir économique et financier, frénésie de la communication et des sondages, futilité des medias, etc. Mais soudain, la fable prend une autre dimension lorsqu'on découvre que les subsides distribués pendant la campagne sont bidons.

Oui, que se passerait-il si on déclarait que toute les masses financières et les titres planqués dans les paradis fiscaux ne sont que de la fausse monnaie et ne valent rien hors desdits paradis ? Dans la BD, l'histoire se termine par une super pantalonnade libératrice...

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