Mot-clé - Société virtuelle

10 juin 2012

Pas de dialogue sans étiquette !

Ce billet est sans rapport avec les élections législatives en cours. Cependant, il concerne notre avenir social.

Entendons par dialogue une forme de relation sociale entre des personnes qui cherchent un accord au travers de ce dialogue. L'accord est à comprendre dans un sens très général. Comme son analogue musical. l'accord peut être banal ou original, final ou transitoire, etc.

Entendons par étiquette un ensemble de conventions communes qui permettent aux protagonistes de dérouler leur dialogue. Et considérons la capacité de créer une étiquette et de la partager comme une caractéristique humaine plus large que celle du langage, adaptable à tous media, génératrice de toute forme d'expression sociale. Enfin, préférons "étiquette" à "code", car ce dernier terme véhicule l'idée d'une contrainte d'application automatique (jusqu'à l'enfermement mental et physique individuel), alors que l"étiquette suppose une invitation, souvent associée à une connotation ludique - il s'agit bien du jeu social.

Remarque en passant. "Le code d'ouverture du coffre est sur l'étiquette". Cette expression, où "code" et "étiquette" sont pris dans leurs acceptions banales, peut sembler contester les définitions proposées. On peut cependant y discerner une confirmation : le code est bien ce qui enferme et contient, alors que l'étiquette reste à l'extérieur et rend maître du code !

Illustrons nos définitions par un exemple de la vie des entreprises, celui de la négociation entre un acheteur et un vendeur, tel qu'elle est présentée dans un ouvrage de référence "Acheter avec profit, guide de négociation de l'acheteur professionnel" par Roger Perrotin et Pierre Heusschen (Editions du Moniteur, 1989). Il s'agit de créer les conditions d'un accord entre un acheteur et un vendeur sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation : prix, conditions de paiement, délai de livraison et de réapprovisionnement, garantie de qualité, emballage, services associés, conventions d'échanges informatisés, calendrier des prévisions de besoins, etc, etc. L'accord résultera d'une négociation sur chacun des critères objectifs connus du vendeur et de l'acheteur; ces critères sont objectifs parce qu'ils sont déterminés par la nature du produit ou de la prestation dans le contexte de la négociation. Chacun des protagonistes connaissant l'entreprise de l'autre, il peut classer ces critères objectifs en fonction de sa propre marge de négociation et, sur un autre axe, de la marge de négociation qu'il suppose chez l'autre. Il obtient alors un tableau de classement croisé qui lui présente les critères objectifs sur lequels la négociation promet d'être difficile (ceux pour lesquels la marge de négociation de l'un et de l'autre est faible), à l'inverse des critères peu conflictuels et parmi ces derniers, des critères "jokers" importants pour l'un des protagonistes mais pas pour l'autre. Une bonne tactique de l'acheteur consiste alors à conduire la négociation de case à case sur ce tableau dans un ordre qui lui permette à la fin d'obtenir un accord global satisfaisant (ce qui peut nécessiter le constat provisoire d'un blocage, d'où l'utilité d'une réserve de "jokers" pour redémarrer).

La personnalité de chacun des protagonistes intervient à double titre : dans la détermination du cheminement sur le tableau et dans l'expression (formules de politesse, questions ouvertes/fermées, types d'objections ou argumentaires et manières de les exprimer, etc). Cette potentialité de complexité foisonnante peut être réduite dans un cadre commun de référence : typologie des styles d'acheteur et de vendeur, caractérisation des tendances inefficaces des uns et des autres, ensemble minimal de règles de l'empathie transactionnelle dans ce type de négociation. Il devient alors possible pour chacun des protagonistes de mettre en oeuvre une tactique adaptée, d'éviter les situations de blocage ou de les résoudre.

Au total, ce qui est décrit dans ce guide de négociation, c'est une étiquette au sens défini en introduction. Si le cours réel de la négociation révèle des affrontements inattendus entre l'acheteur et le vendeur, par exemple du fait d'erreurs d'évaluation des marges de négociation ou du fait d'évolutions imprévues des styles de négociation adoptés, alors d'autant plus, cette étiquette sera le recours commun, parce qu'elle permet à chacun simultanément de percevoir la nécessité des ajustements, leur nature et leur portée souhaitables, puis de conduire leur réalisation dans un cadre commun - à ce titre l'étiquette est constitutive du métier des protagonistes dans leur relation conflictuelle. Clairement, même et surtout dans un contexte déterminé par la recherche d'un objectif précis, l'étiquette n'est pas le décor ni l'ustensile du dialogue, mais sa méthode.

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En généralisant juste un peu, les catégories de composants d'une étiquette de dialogue à objectif se dégagent :

  • référentiel des types de protagonistes en vue du dialogue pour l'objectif global poursuivi (ex styles d'acheteur et de vendeur)
  • référentiel d'affichage de la progression du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex tableau croisé des critères selon leur criticité pour chacun des protagonistes)
  • règles de cheminement du dialogue pour atteindre l'objectif global poursuivi (ex passage sur les cases à faible niveau de conflit jusqu'à obtenir un équilibre permettant, en conservant quelques jokers, de traiter les cases plus conflictuelles)
  • règles de préservation de l'empathie pour la continuation ou la reprise du dialogue en vue de l'objectif global poursuivi (ex comportements à éviter, comportements déclencheurs d'accords minimaux)

Notre ouvrage sur la transmission des compétences à l'ère numérique (voir le lien "Essai sur un web alternatif") contient une proposition d'étiquette adaptée à la transmission des compétences personnelles, évidemment bien différente de celle de la négociation entre acheteur et vendeur. Cependant, on y retrouve les catégories de composants listées ci-dessus. Ce n'est pas étonnant, il s'agit de fondamentaux méthodologiques, une analogie avec la musique concertante peut être éclairante.

Dans tous les cas, la mise en oeuvre sur le Web d'une étiquette de dialogue à objectif implique, par nature, la création d'une société virtuelle spécifique.

Pour ce faire, à l'évidence, le Web actuel doit être dépassé. Ce Web-là est devenu un jouet hypnotiseur à prétention universelle, instrumentalisé par les marchands et les manipulateurs. Les emoticones d'état d'âme, les réseaux sociaux banaliseurs, les services outilleurs de propagandes, les encyclopédies de l'instantané, les clics d'achats faciles par carte bancaire, les traductions automatiques ineptes, la netiquette en bouillie pour chat, et in fine la déclaration universelle des droits de l'Homme... : pauvreté de la socialisation sur le Web actuel, faiblesse de ses fondements techniques, misère de ses idéaux. Hélas, "le media est le message" comme disait un prophète du village planétaire, et nos savants se perdent dans ses détails insignifiants et ses oripeaux.

Le Web des innovations sociales reste à inventer, pas comme un miroir ni une extension du monde réel, mais comme l'espace des sociétés virtuelles en tant que nouveaux territoires du monde réel. Scandale : c'est possible ! Avec "dialogue" et "étiquette"...

8 mai 2012

Révolution numérique en toc, régression sociale en béton

Que voyons-nous sous l'appellation de révolution numérique dans la société ?

Un gigantesque développement des télécommunications interindividuelles. Merveilleux, n'est-ce pas ? Nous voyons bien chaque jour à quel point ce progrès participe à la reconnaissance entre les peuples, à la bonne entente entre les personnes, à l'ouverture à l'autre. C'est plutôt une forme nouvelle de distanciation empathique qui s'installe. La combinaison du conformisme et de la communion dans les défoulements instinctifs évite l'affrontement, mais aussi le dialogue. L'apparence bienveillante obligatoire, la fuite préventive devant l'opposition, l'ignorance de la contradiction, la convenable implication hébétée en face des conflits ouverts, affirment des vertus diplomatiques en voie de généralisation à toute l'humanité. Mais que pourrait être un monde entièrement peuplé de diplomates, quelle serait leur maison, leur responsabilité, pour quoi faire sinon pour préserver leur idée de bonheur égoïste ?

Une grande facilité d'accès à un savoir encyclopédique. "On sait tout sur tout". Oui, mais qu'en fait-on ? Pourquoi, par exemple, l'empreinte écologique de nos sociétés riches ne fait-elle qu'augmenter et pourquoi les peuples démunis le sont-ils de plus en plus ? Est-ce qu'avec nos nouvelles technologies, nous n'avons pas renforcé la tendance à confondre "savoir" et "archive bien tenue", "compétence" et "capacité d'en parler", "volonté de faire" et "alimentation de dossier" ? Pour en rester aux "archives bien tenues", avons-nous pris la mesure de leur incohérence grandissante au fil du temps, de la difficulté croïssante à restituer d'anciens contenus techniquement désuets et devenus parfois incompréhensibles hors de leur contexte originel de lieu, d'époque et de culture ? Ou bien le Grand Projet est-il de retenir une seule encyclopédie de l'instant, en déclarant que rien d'autre n'existe ?

Les réseaux sociaux. Tout a été répété à leur sujet, sauf deux évidences importantes. Premièrement, les réseaux sociaux sont des extensions de la société réelle telle qu'elle est; donc, du point de vue de l'innovation sociale, c'est zéro, un joujou. Deuxièmement, les réseaux sociaux (comme d'autres services aimablement offerts sur le Web) alimentent en arrière plan les sondages de comportements et d'opinions en temps réel qui servent à construire les "événements" et les "inforrmations" diffusés dans l'ensemble des media, et dont l'impact se mesure directement en retour dans lesdits réseaux sociaux. Donc, aucune chance qu'une innovation sociale surgisse de cette grande boucle d'asservissement des esprits.

Les dangers du numérique ? Les risques sur la divulgation de données individuelles, les piratages, etc. sont mis en avant pour qu'on ne parle pas de la grande boucle manipulatoire dont le Web est devenu le creuset. Le lobbying des marchands, qui par ailleurs possèdent la plupart des monopoles du Web, finira par produire un jour l'équivalent d'un droit international des affaires sur le Web, parsemé d'ambigüités et de contradictions pour préserver le business des avocats. Ne serait-il pas plus important de combler le vide béant entre la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et la Netiquette ? Il faudrait pour cela d'abord admettre que les individus sont par nature capables de créations sociales et leur en reconnaître la liberté. Actuellement, nous sommes tous incités à nous fondre dans un Disneyland virtuel "gratuit" universel - il y aurait pourtant de quoi se méfier.

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Une révolution numérique sans création sociale, c'est une révolution en toc, qui masque l'évidence d'une régression sociale au fond. La révolution numérique ne peut être que celle de la création de sociétés virtuelles diversifiées, par l'usage d'une liberté de réalisation d'utopies sociales - nouveauté historique, ces utopies ne présenteraient aucun danger mortel pour "la" société et la liberté de les créer en sociétés virtuelles pourrait donc être reconnue.

La vraie révolution numérique suppose une révolution des sciences sociales de sorte qu'elles deviennent créatrices de lien social, que nous sachions fonder des sociétés virtuelles viables, et les faire vivre avec les règles de fonctionnement et les étiquettes de comportement adaptés. Cette révolution numérique implique un retour à l'architecture décentralisée du Web, au contraire de sa concentration totalitaire sur quelques services centralisés. Cette révolution numérique nécessite la mise en place sur le Web de services communs spécifiques aux sociétés virtuelles, afin d'en permettre le fonctionnement et la pérennité.

Voir ailleurs dans ce blog pour les détails...

24 mar. 2012

Le retard théorique sur la transmission des compétences à l'ère numérique

Quelque part, Paul Valéry aurait dit :

Lorsque deux êtres humains croient se comprendre,

c’est généralement le résultat heureux d’une erreur.

Dans ce blog, nous imaginons comment surmonter la barrière de l'incompréhension entre les personnes, notamment au travers des vraies sociétés virtuelles, que nous considérons comme de nouveaux espaces de l'esprit. Cependant, nous ne croyons pas que l'établissement de la compréhension entre deux êtres humains soit toujours une source de bonheur, c'est là un autre sujet, et d'ailleurs la citation ci-dessus semble restreindre ce bonheur à la seule impression de se comprendre...

Parmi les causes des mauvaises communications entre les citoyens ordinaires, il faut mentionner l'oppression mentale exercée par les personnalités de toutes sortes, véritables savants ou faussaires. Les media nous gavent de leurs pensées façonnées, leurs oeuvres puissantes et même leurs déjections de l'instant sur tous les sujets d'actualité. Consciemment ou non, par l'obligation de tenir leur rang et de préserver leur place, ces privilégiés endorment la matière grise de leurs contemporains dans la résignation ou l'admiration béate, étouffent la contestation par la tétanie suicidaire des opposants potentiels dans un décor de leurres insignifiants, sous couvert de références savantes ou de représentations convenues de leurs positions sociales supérieures. C'est un abus de pouvoir.

En revanche, il reste au citoyen ordinaire la possibilité de comparer les écrits d'experts qui ont pris le temps et le risque de mûrir leurs pensées. En voici deux, qui ont un rapport avec notre sujet principal, la transmission des compétences à l'ére numérique, ou dont on attendrait qu'il en aient un.

Comment les traditions naissent et meurent (la transmission culturelle) par Olivier Morin, Odile Jacob, octobre 2011

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Anthropologie des savoirs par Nicolas Adell, Armand Colin, Collection U, Sciences humaines et sociales, 2011.

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Incroyable mais vrai : ces ouvrages relevant tous deux des sciences humaines sur des sujets a priori parents, sont quasiment disjoints, même pour une grande partie de leurs bibliographies.
Autre constat : malgré les ambitions transdisciplinaires des ouvrages, on peut s'étonner de l'absence ou du traitement plus que sommaire d'auteurs majeurs sur la nature et la transmission du savoir et des comportements individuels et collectifs, tels que Karl Lorenz, Igor Pavlov, ou Maurice Halbwachs, en comparaison d'auteurs visiblement de référence obligée. Question de mode ?

En synthèse, de notre point de vue, le premier ouvrage est une thèse de doctorat qui n'aborde pas les questions de la transmission de compétences à l'ére numérique. Le second ouvrage, en revanche, exprime sa vocation pédagogique; après une synthèse découpée en grands thèmes sociologiques, il tente de rendre compte des nouvelles questions de la "société de l'information" à venir, évidemment en restant dans le concert des communications et publications officielles de personnalités ou d'experts reconnus, mais c'est déjà çà.

A côté de tels ouvrages de référence, il existe une littérature d'émotion de terrain sur les nouvelles technologies, à partir de l'observation enthousiaste du comportement des jeunes nés au berceau avec l'ordinateur puis avec le smartphone puis avec la tablette, à la fois cobayes et précurseurs, consommateurs et concepteurs du monde à venir... A l'opposé, il existe une littérature de dénonciation des technologies nouvelles. Ces deux sortes d'ouvrages ne débouchent sur rien de concret, parce qu'ils sont soit des écrits d'informaticiens, soit des écrits littéraires, dont des publireportages à la chaîne. La séparation des disciplines littéraires et scientifiques constitue une barrière d'incompréhension entre leurs discours respectifs, mais elle instaure hélas aussi la limite de la compréhension du monde par chaque discipline.

Pour les réseaux d'échange réciproque de savoir

Connaissez-vous les Réseaux d'Echange Réciproque de Savoir (RERS) ?

Ce sont des centres virtuels de mise en contact entre voisins dans une ville ou entre habitants d'une région géographique. Chaque participant propose son savoir en vue de le présenter aux autres au cours d'une démonstration ou d'un cours particulier à domicile. Tout le fonctionnement est fondé sur le volontariat et la réciprocité. Toute idée de rémunération est proscrite.

Malgré quelques convergences, notamment la gratuité et le volontariat, les différences sont importantes avec nos propres recommandations sur les sociétés virtuelles pour la transmission des compétences. Ces différences constituent une opportunité de critiques et de propositions, car nous pensons que les RERS méritent de réussir.

La critique d'abord. Dès lors que chaque RERS, réseau virtuel local, n'est que l'instrument des propositions mais pas celui de la réalisation de l'échange des savoirs, et dès lors que tous les participants se connaîssent ou peuvent facilement s'informer sur l'identité sociale des autres, comment éviter le poison des rivalités, les crispations sur les normes de réussite formelle des échanges selon les catégories de savoirs, la dérive vers une forme de grand concours, même et peut-être d'autant plus dans un contexte bénévole ? Le danger est donc soit celui de l'extinction, soit celui de l'explosion vers un grand bastringue pour la reconnaissance médiatique de quelques vedettes ou futurs élus.

Quelques propositions.

Pour canaliser les pesanteurs sociales, il est nécessaire que chaque réseau virtuel local puisse créer et entretenir sa propre culture de l'échange. Les conditions peuvent en être trouvées au travers d'une spécialisation locale sur quelques domaines de compétences ancrés sur le terrain (au sens large, par exemple la vie et les métiers de la montagne, de la vigne...). Cette spécialisation n'est pas une fuite vers la facilité (toute relative), mais d'abord une façon de se donner des finalités, peut-être même au travers d'actions locales ou projets d'intérêt public (pas forcément bénévoles) requérant des échanges (bénévoles) entre des contributeurs.

Alors, une plate forme nationale apporterait sa propre valeur ajoutée par l'enrichissement réciproque entre les réseaux locaux ainsi spécialisés de leur propre initiative.

17 mar. 2012

L'anonymat, un luxe de célébrités ?

Les "réseaux sociaux", de Facebook à Twitter, proposent aux personnes célébres d'authentifier leur compte afin de rédure le risque d'usurpation de leur identité.

Dans une nouvelle publiée sur Clubic.com le 16 février 2012, on apprend que Facebook va plus loin :

  • Les possesseurs d'un compte certifié ont le droit d'utiliser un pseudonyme (alternate name).
  • Ils bénéficient d'une version spéciale du bouton d'abonnement à leurs sites, plus agressivement proposée dans les listes d'abonnement, et qui n'implique pas que les abonnés deviennent amis automatiquement
  • C'est Facebook qui se charge de contacter les comptes potentiellement intéressés par ces superfonctionnalités et opére les vérifications à partir de documents légaux à fournir.

Dans cette proposition, nous reconnaissons la logique sélective classique des annuaires de personnalités, célèbres, riches, puissants. Au delà, Facebook attribue un pouvoir spécial à ces personnalités pour qu'elles s'attirent plus aisément la fraternité du commun des mortels sur le "réseau social", tout en leur permettant de se dissimuler pour ne pas être importunées.

C'est la décalcomanie des pusillanimités de nos sociétés réelles.

Quelle superbe preuve a contrario de nos thèses !

Un "réseau social" à prétention universelle tel que Facebook ne peut être qu'une extension de la société réelle, avec la migration de ses pesanteurs et la reproduction de ses privilèges - et ceci du fait même de sa visée généraliste selon les idéaux des dirigeants et organisateurs dudit "réseau social".

Nous affirmons qu'au contraire et à l'évidence pour aller vers une collaboration authentique entre les personnes et ouvrir de nouveaux territoires de l'esprit, une société virtuelle doit se constituer sur des finalités limitées, comprises et acceptées par ses membres. Que le fonctionnement d'une société virtuelle se structure sur des conventions, des projets, des règles de comportement qui découlent strictement de ses finalités et rien d'autre. En particulier, concernant l'expression de l'identité des personnes, si les finalités ne supportent pas ou ne nécessitent pas la reconnaissance des notabilités de la société réelle - ce qui sera le cas général - l'identité personnelle dans une société virtuelle doit dissimuler ou ne pas faire état du statut social "réel".

Par exemple, dans une société virtuelle consacrée à l'échange d'expérience autour d'une expertise technique, l'identité personnelle peut se définir par une forme amaigrie et adaptée de curriculum vitae anonyme. Peu importe que l'on puisse reconnaître telle ou telle célèbrité d'après son cv, le dialogue entre les personnes se fera sur la base des caractéristiques affichées dans leurs cv, rien d'autre, et selon les règles spécifiques de dialogue dans la société virtuelle considérée.

Autrement dit, à l'inverse de notre monde Facebook (ou autre) en miroir de lui-même, l'anonymat ne doit pas être un luxe mais un droit constitutionnel des sociétés virtuelles.

11 déc. 2011

Le Web, instrument de viol mental

Des manifestations de méfiance surgissent çà et là à propos des "réseaux sociaux", sur la confidentialité des données individuelles et les excès du ciblage publicitaire.

Cette campagne détourne notre attention en se concentrant sur des détails techniques et de petites maladresses plutôt que de s'attacher aux vrais dangers.

Car les risques de fuite d'informations personnelles et les matraquages publicitaires ne sont que des imperfections de façade, à côté de l'énorme machine médiatique d'asservissement des esprits alimentée par les éléments statistiques recueillis dans les "réseaux sociaux" et au travers d'autres "services" offerts par divers bienfaiteurs de l'humanité.

C'est dans l'arrière cour qu'est installé le monstre, qu'il se nourrit et nous exploite.

Comme participant à un réseau social, vous fournissez quelques informations d'identité. Vous savez bien qu'un minimum est suffisant pour vous placer dans une catégorie statistique correspondant à vos motivations fondamentales. Par exemple, rien qu'en connaissant votre adresse approximative (qu'un automate astucieux peut vérifier automatiquement par recoupement, n'en doutez pas une milliseconde), on peut dire si vous vivez au milieu des richards ou des pauvres. Ce jeu de devinette de cour d'école primaire est diversifié à l'échelle planétaire, avec des moyens colossaux, pour vous cerner en tant qu'individu statistique, chaque jour de plus en plus précisément selon vos catégories factorielles.

Evidemment que vos activités sur le Web sont suivies, et que vos centres d'intérêt sont observés ! Et en détail, si vous ne prenez aucune précaution : combien de temps vous passez à regarder quelles pages, sur quels contenus vous avez cliqué, à quelle heure, à partir de quel endroit, etc.

Peut-être constatez-vous que vous recevez de plus en plus de publicité ciblée. S'il vous plaît, ne soyez pas dupes de votre propre irritation : ces attentions pataudes sont les résultats de l'activité inoffensive du monstre, celle qui "dialogue" avec vous et dont les imperfections, finalement, vous rassurent. D'ailleurs, les maladresses et les défauts techniques abondamment signalés sont faits pour vous distraire. Les dénonciations de ces défauts participent à l'entretien de l'illusion; ces discours sont là pour faire "humain", d'autant plus que leur vacarme est savamment amplifié par les inquiétudes des incompétents et des naïfs.

Répétons-le, c'est à l'arrière plan que se développe le vrai danger, celui dont on ne parle pas.

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En effet, par l'exploitation statistique de masse sur les activités individuelles de millions d'individus et de groupes, "on" peut ajuster presque en temps réel les instruments des campagnes de manipulation lancées dans les medias, les messages et les dosages des propagandes dans les différents medias, pour la meilleure "efficacité".

A côté de cela, l'anticipation romanesque du Big Brother semble complètement désuète. C'est qu'actuellement, le viol psychique est aussi permanent qu'imperceptible et la pression d'asservissement mental s'exerce par des messages démultipliés entre divers canaux de diffusion.

Cela fait déjà bien longtemps que l'exploitation statistique massive d'arrière plan constitue le principal revenu officieux de plusieurs grandes sociétés "indépendantes" de services sur le Web. Justement, les techniques mathématiques et informatiques d'extraction des données pertinentes est cousine de celle des moteurs de recherche... Pourquoi sinon croyez-vous que ces acteurs du Web ont besoin de centraliser leurs traitements de fond ? Pourquoi sinon sommes-nous invités à sacrifier au mythe du génial jeune créateur d'entreprise individuelle parti de rien, alors qu'à l'évidence, le succès requiert d'emblée des investissements gigantesques ?

Cela fait bien longtemps que les agences, officines, think tanks, instituts, services spéciaux, qui sont à la fois les financiers et les clients de ces machineries statistiques, sont passés à la phase active de la manipulation des esprits, après une phase expérimentale de quelques années. Contrairement aux propagandes d'avant l'ère numérique qui visaient la manipulation des masses, il s'agit d'une manipulation multimedia et multidimensionnelle, diversifiée à destination des individus. De plus, grâce aux nouvelles technologies, les effets de cette manipulation sont observés presque instantanément, ce qui permet la rétroaction en boucle rapide d'ajustement coordonné, et tout ceci dans la durée et dans la permanence de la pression médiatique.

A quoi est-ce que cela leur sert, à ces puissances d'arrière cour, de manipuler nos esprits constamment ? Par exemple, dans l'actualité 2010-2011, considérez le niveau d'hallucination qu'ils ont inoculé et continuent d'entretenir chez les économistes et les dirigeants bien pensants sur le "problème de la dette étatique" (pour une désintoxication accélérée voir par exemple http://www.atterres.org/)... Cherchez d'autres exemples dans vos propres domaines de compétence, ou récapitulez simplement la liste des affirmations bidons et des dogmes crevés récemment mises à jour dans les domaines que vous connaissez... Imaginez le nombre et l'ampleur des manipulations encore à l'oeuvre pour vous diriger comme consommateur, comme électeur, comme être vivant dans vos actes et vos pensées, de la crèche au cimetière. C'est cela qu'ils font : nous maintenir dans l'état d'esprit convenable, déterminer les effets de nos pulsions fondamentales, disperser toute tentative de réflexion, égarer toutes formes d'opposition, afin que les puissances bénéficiaires prospèrent.

Comment résister au niveau individuel à cette forme d'esclavage ? Autant poser carrément la question autrement : peut-on s'évader même temporairement, à notre époque, du système médiatique et informatique ?

A titre individuel (notons-le tout de suite, c'est tout différent en action collective), il ne servirait pas à grand chose de manifester notre désapprobation de la domination de ce système par quelques puissances aliénantes dissimulées. Car notre révolte serait récupérée et instrumentalisée, comme celle de tant d'artistes et de groupes asociaux. Il est évident que la méthode d'assimilation progressive des résistants frontaux est au point, que les instruments sont prêts, et qu'il existe plusieurs processus bien rodés de solution, dont l'éventail s'étend de l'élimination physique pitoyable au boom de la survalorisation marchande d'une idole décérébrée.

Tout au contraire, faisons chacun comme si de rien n'était, comme si nous ne nous doutions de rien... mais de moins en moins souvent, de moins en moins longtemps, avec de moins en moins d'attention, afin de libérer notre esprit pour des récréations hors système, peu à peu.

Considérez vos opinions spontanées et vos décisions impulsives comme des effets manipulatoires du monstre, prenez du recul. C'est beaucoup moins difficile qu'une cure de désintoxication, parce qu'aucune réaction de sevrage n'est à craindre. Au contraire, vous découvrez comment les productions du système médiatique s'agglutinent à partir de canaux différents de diffusion, pour vous impressionner en vue d'effets plutôt grossièrement calculés de pensée-réflexe. Vous discernez peu à peu la diversité factice de l'unanimité bien pensante, le cadrage personnalisé de la vie physique et mentale des personnes normalisées, par l'abrutissement de leur mental et sa substitution par des automatismes.

Même si vous êtes tenté de réagir à la pression, de fuir sa logique hallucinatoire, n'en faites rien, laissez le monstre croire qu'il vous tient dans son maillage gluant. Jouissez de votre détachement amusé, imaginez plutôt comment amener d'autres personnes à reconquérir individuellement leur liberté de pensée.

Ne répondez pas aux enquêtes d'opinion d'aucune sorte : avant même que l'on ne vous déploie un argumentaire, ignorez-le ou dites simplement que vous ne répondez à aucune enquête. Ne dites pas "par principe", sinon vous serez repéré, ils ont une case pour cela.

En revanche, vous pouvez participer aux actions collectives les plus variées pour démasquer, ridiculiser, décrédibiliser la machine à gaver les esprits. Mais si vous parvenez à tuer dix dogmes idiots, si vous écrabouillez vingt évidences préfabriquées, la machine en créera cent autres dans d'autres dimensions factorielles. Vous aurez perdu votre temps et votre énergie si vous ne profitez pas de votre victoire partielle et momentanée pour dénoncer la mécanique à produire les stupidités. Souvenez-vous que c'est cette machine qu'il faut détruire, que vous n'y parviendrez jamais seulement en détruisant ses productions.

Au total, c'est le surgissement d'une liberté non anticipée qui peut perturber le monstre et, à dose massive, le tuer. Ne ratez pas les instants bien réfléchis du "NON".

Le monstre sera détruit lorsque suffisamment de gens auront admis son existence et qu'ils auront compris comment et pourquoi ils ont été violés.

3 oct. 2011

La netiquette, vous connaissez ?

La netiquette, à l'origine, c'était un ensemble de règles de bonne conduite dans les échanges entre usagers sur Internet. Elle est apparue au début de la popularisation de l'Internet, à l'époque où n'existaient couramment, pour l'interaction entre les usagers, que l'email, les groupes de discussion (Usenet) et le chat (IRC).

NB. En fait, depuis cette époque, les innovations techniques sur Internet sont minimes; ce qui a changé, c'est le niveau d'"emballage" pour l'utilisateur (par exemple dans les réseaux sociaux), et la centralisation de services fournis et des exploitations statistiques en arrière plan par quelques quasi-monopoles.

A l'origine, la netiquette était plutôt une "nethique" du respect de l'autre illustrée de quelques exemples, que chacun était invité à interpréter ou transposer en toutes circonstances.

En 1995, la netiquette s'est développée dans un document RFC 1855, Netiquette Guidelines, d'une vingtaine de pages.

En plus des anciennes règles générales de bonne conduite, on y trouve des instructions d'emploi, des conseils d'utilisation, des injonctions à caractère juridique, des avertissements informatifs, des interdits typographiques, etc. Selon la catégorisation coutumière des informaticiens, l'ensemble est réparti en chapitres et paragraphes définis par les variétés techniques d'échanges (one to one, one to many, real time, etc.) et les rôles (utilisateur, administrateur).

Au total, l'utilisateur novice ou expérimenté peut y picorer les éléments qui pourraient l'intéresser. Malgré la pertinence du contenu, l'exploitation du document exige une curiosité tenace, et un bon niveau de tolérance au déséquilibre entre les généralités et les directives spécifiques. Les premières sonnent forcément creux en regard des secondes, qui ressortent minuscules en retour.

De notre point de vue et au-delà de la forme, cette netiquette est un bon témoin de l'impasse logique et des confusions conceptuelles régnantes, lorsqu'on se contente de projeter l'imaginaire et les valeurs de notre société directement sur un champ technique pris comme un absolu.

Cette netiquette est faussement universelle. Elle est imprégnée d'une conception particulière de l'être humain et d'une vision spécifique de la bonne société. On voit bien que cette netiquette ne peut s'exprimer que d'une manière négative, surtout par des restrictions et des interdits tous azimuts, par rapport à une utilisation supposée générique d'outils élémentaires, quels que soient les buts des utilisateurs à travers l'usage de ces outils. Des valeurs morales et des modèles éthiques sont implicites, même si leurs croyances et leurs dogmes sont sans rapport direct avec les finalités concrètes des actions à réaliser.

Pour nous, une véritable netiquette ne peut être universelle, elle est au contraire complètement spécifique à une société virtuelle donnée. Elle définit en détail une discipline d'interaction sur le Web dans chaque circonstance précise, dans le cadre de cette société. Elle dit comment et pourquoi s'établit une interaction élémentaire et la suite des interactions. Cette netiquette est donc évidemment par nature différente, par exemple, dans un réseau social consacré à la promotion de professionnels, dans l'utilisation par un particulier du service web d'une administration fiscale pour une déclaration de revenus, dans une discussion sur un forum consacré à un thème philosophique, etc.

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Nous renvoyons aux autres billets du blog ainsi qu'à notre ouvrage sur la transmission des compétences personnelles à l'ère numérique (http://cariljph.free.fr/). Nous avons tenté d'y expliciter comment peut être construite l'étiquette d'une société virtuelle donnée, et comment on peut l'appliquer dans la vie courante en fonction des seules finalités de cette société, indépendamment de choix de valeurs morales.

Dans ces conditions-là, à savoir celles d'une société virtuelle à finalités limitées, c'est l'étiquette qui libère l'intelligence et crée les conditions de l'entendement, en portant les finalités de la société. Dans ces conditions-là, l'étiquette ne nécessite aucune référence à l'éthique ni à la morale. A l'évidence, rien n'oblige à imposer "notre" société à des sociétés virtuelles dont les finalités sont comparativement étroites.

Nous défendons la thèse "anthropologique" que l'étiquette, au sens utilitaire où nous l'entendons, est un fondement social scandaleusement ignoré en comparaison de constructions d'apparences plus immédiates comme le langage, ou en comparaison des constructions complexes de l'imaginaire social. Cette thèse nous semble particulièrement bien répondre au besoin de création de sociétés virtuelles au-delà des simulacres flatteurs du Web actuel, grossièrement ineptes en regard de l'univers des possibles.

Nous ne prétendons pas réformer les sciences sociales, seulement montrer qu'il existe un champ ouvert à l'expérimentation et à la création. C'est bien de créations sociales entièrement nouvelles sur le Web qu'il s'agit. Et c'est pourquoi par ailleurs il faut une loi commune sur ce nouveau pouvoir de création.

17 sept. 2011

Qu'est-ce qui fait la société ?

Notre domaine se limite aux sociétés dites virtuelles sur le Web. Pourtant, ce billet est un coup de pied au cul des penseurs littéraires et scientifiques de "la" société. Tant pis.

Schématiquement.

Ce qu'il faut observer d'abord, ce sont les gens localement entre eux dans la rue ou chez eux. Car ce sont des modes opératoires de relations humaines qu'il faut créer sur le Web, pour des sociétés spécialisées à vocation déterminée, pas pour "la" société dans son ensemble, sinon rien ne se fera de nouveau. Dans cette optique, une théorie générale de "la" société ne présente aucun intérêt.

Autrement dit. Considérons les mécanismes d'interactions dans les sociétés humaines comme des fondamentaux naturels, mais surtout comme des produits sociaux. Alors, il n'est plus nécessaire de considérer l'être humain comme un sujet imparfait ni la société comme une fatalité inconnaissable. Alors, on peut éviter le romantisme psychologique et les complexités stériles pour travailler au bon niveau, celui de la création d'étiquettes sociales adaptées aux sociétés virtuelles du Web.

La démarche intellectuelle n'est pas celle du micromodélisme au sens par exemple de la microéconomie. On doit, au contraire, envisager les interactions sociales dans leur totalité entre de vraies personnes complètes, donc y compris l'imaginaire social et les imaginaires personnels qui imprègnent ces interactions. Mais tous ces éléments sont à considérer d'un point de vue "extraterrestre", comme des données sur lesquelles on peut agir, et précisément, que l'on doit prendre en compte, masquer ou définir différemment dans telle ou telle société virtuelle, en fonction des finalités propres à chaque société virtuelle. Autrement dit, on ne doit pas réduire les interactions entre des personnes à des automatismes, on ne doit pas réduire les personnes à des robots. Mais on impose localement une étiquette de dialogue pour une interaction donnée; cette étiquette locale et temporaire doit être publique et acceptée.

L'étiquette d'interaction entre les personnes est le premier niveau de travail dans la création d'une société virtuelle. Elle est à construire en fonction des buts d'interaction, mais aussi pour occulter tout ce qui est inutile au fonctionnement des interactions considérées. Tout le reste, l'ergonomie de détail comme l'expression élaborée de la constitution sociale (de la société virtuelle), découle de cette étiquette et non l'inverse. A titre d'illustration, mentionnons l'existence de différentes manières de compter en fonction des situations et des personnes présentes, c'est-à-dire en fonction de l'étiquette en cours, dans de nombreuses cultures. Il est grotesque d'y voir un trait d'archaïsme, les scientifiques ne font pas différemment selon leur discipline et selon l'échelle des phénomènes qu'ils étudient. La capacité de créer des étiquettes relationnelles est inhérente aux sociétés humaines.

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Ce qui distingue l'être humain de la machine, ce n'est pas forcément ce qu'il fait semblant de croire. Ce n'est pas, en tous cas, sa capacité sociale en soi, puisqu'il la partage avec des animaux et des végétaux. C'est quelque chose dans sa construction, qui en fait un être social capable de remise en question. C'est peut-être que nos rêves et nos compétences personnels, à travers le langage, font partie de notre machinerie sociale. C'est peut-être que la démission machinale de notre comportement individuel instantané reste consciente. Mais, il est évident que, dans nos vies courantes, nos institutions sont conçues par nous comme des mécaniques déléguées.

Illustration par un exemple extrême. Au théâtre, un comique occupe la scène. C'est un professionnel du rire, il sait communiquer son intention. Spontanément, tout le monde rit, même si ce n'est pas vraiment drôle, même si le contenu comique est franchement mordant pour une partie de la population largement représentée ici. Et moi, Je ris parce que tout le monde rit, en cadence. Sinon, je dois me retirer en moi-même, et pour cela trouver une raison quelconque de le faire, un déclic pour me désolidariser de la foule. Alors seulement, je peux me demander pourquoi je ris, devenir plus sélectif, observer mes voisins à la recherche de ceux qui ont pris du recul, ou au contraire pour dépister les comparses du batteleur... Dans la foule qui rit, il est certain que personne ne rit exactement pour la même raison. Chacun est pris dans l'accord d'ensemble mais chacun pense en même temps par soi-même. Et même les sourds rient en mesure.

Les machines intelligentes ne sont donc pas des nouveautés puisque nous en sommes, nous-mêmes et nos institutions sociales, les premiers exemplaires, les concepteurs et serviteurs. C'est par l'effet d'une fausse impression de banalité et d'une méfiance instinctive que nous imaginons mal le potentiel de démultiplication sociale pour nous mêmes des ordinateurs en réseau. Nous les envisageons comme des instruments individuels pour doper nos capacités personnelles, alors qu'ils pourraient nous servir, enfin, à dialoguer et coopérer entre nous directement, certes par des étiquettes adaptées mais sans aucune délégation aveugle à de quelconques services intermédiaires (à but lucratif).

Un imaginaire stérilisant (notamment celui de la guerre des machines intelligentes contre l'homme), l'incompétence des petits savants, la pression du marketing et de l'idéologie de compétition, nous maintiennent dans la débilité. Attendons le jour prochain où une grande thèse sera écrite par qui il faut, là où il faut, comme il faut, pour balayer toute cette poussière et nous "révéler" un univers inexploré !

1 sept. 2011

Notre Web échomatique

Il se dit que les réseaux sociaux du Web abritent un foisonnement des idées, des débats passionnés, et qu'ils peuvent accélérer des révolutions.

La simple répercussion de rumeurs et la propagation de mots d'ordre, en échos automatiques, donnerait la même production.

D'ailleurs, constatons, même dans les blogs de réflexion écrits en français, l'évolution machinale de la langue des commentaires. L'orthographe est celle d'un automate correcteur à partir d'une reconstitution phonétique ignorant le contexte. La syntaxe est celle d'un rap enroué. C'est bien que la redondance du contenu permet de tout supporter sans difficulté.

Oua l'or on sait mâle con prix.

Dans notre Web des échos, il manque un emoticon pour dire "je suis d'accord mais je le dis à ma façon", et un autre emoticon pour dire son opposition, avec insultes de saison.

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De même, l'art des grands résonateurs de l'actualité sur le Web n'est qu'arrangement et reprise. Leur technique de composition est la comptine en kyrielle, enchaînant des nouvelles du jour avec des mots d'ordre choisis dans le stock des propagandes en cours, selon un modèle de présentation pris parmi les standards de leur milieu.

Or, toutes ces productions, premières et secondes, pourraient être confiées à des automates intelligents. En effet, elles ne requièrent que trois fonctions actives : découper, substituer, recoller. Avec une mémoire réduite à l'actualité, une alimentation en arguments publicitaires, quelques modèles de départ, un zeste de logique probabiliste pour la créativité, hop, le logiciel nous fait la chronique du jour et les commentaires en prime !

Si le message est différent du media, alors le message, c'est que nous nous prenons pour des machines.

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