Mot-clé - Manipulation

18 juin 2013

Révélations en questions

Dans l'actualité des dernières semaines, un nouveau héros de la vérité nous confirme l'existence de machineries puissantes d'espionnage du Web. C'est une superbe opportunité de poser quelques vraies "questions qui tuent".

Croyez-vous que la fuite à Hong Kong du vaillant dénonciateur puisse nous garantir contre toute manipulation de ses déclarations (même en supposant que ledit dénonciateur soit authentique) ?

Est-ce réellement une surprise, cette "révélation" de l'espionnage de l'Internet par une grande puissance mondiale aux fins de lutte contre le terrorrisme (et plus largement contre tous ceux qui s'opposent à ses intérêts), alors que le réseau Echelon fait de même depuis des années pour les télécommunications ?

MI5_2.jpg Croyez-vous que seules vos "données personnelles" permanentes sur le Web sont observées, autrement dit vos pages personnelles et les informations associées à vos divers comptes, et pas vos comportements, les pages que vous regardez, combien de temps, à partir d'où, à quelle heure, etc ?

Croyez-vous que la puissance en machinerie nécessaire et surtout la compétence d'exploitation en quasi temps réel de gigantesques masses de "données personnelles" soient à la portée d'entreprises commerciales même multinationales ?

Croyez-vous que cette machinerie et cette compétence soient les créations spontanées de quelques startups à succès dans un marché de concurrence libre et non faussée, plutôt que l'inverse (à savoir que le développement de certains géants actuels du Web aurait bénéficié d'un soutien comptablement invisible mais massif, en matériels et compétences technologiques euh... prééxistantes et par nature coextensives) ?

Croyez-vous que cette grande machinerie d'espionnage ne serve que des buts commerciaux ?

Croyez-vous que l'espionnage se réduise à une activité passive de recueil d'informations ? (Si vous répondez oui : lisez quelques romans d'espionnage, regardez quelques séries d'espionnage dans notre monde actuel, par exemple l'excellente série britannique MI-5 (Spooks en vo), et veuillez vous rappeler tout de même que vous avez déjà été informés que des régimes "totalitaires" ont récemment manipulé et liquidé des opposants grâce à l'espionnage des seuls emails, mais en réalité peut-être bien plus)

Croyez-vous que les grandes agences et organisations étatiques d'espionnage puissent avoir une autre vocation que de neutraliser par avance sinon détruire leurs ennemis supposés ?
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Croyez-vous que ces organisations passent leur temps et dilapident leur énergie à s'intéresser à chaque individu isolément, alors qu'elles ont à présent les moyens d'abrutir et de tromper des populations entières d'une manière finement segmentée (bourrages de crânes jusqu'aux chercheurs universitaires en versions subtiles) et ceci dynamiquement en mesurant l'efficacité de leurs campagnes d'actions médiatiques au travers des bavardages de leurs cibles et de leurs activités sur le Web ?

Croyez-vous que la propagande, ce soit juste des publicités dans les journaux et à la télé ?

Croyez-vous que tous ceux qui partagent vos opinions, vous donnent leur avis, vous invitent à dialoguer sur le Web, vous proposent leurs pages personnelles, croyez-vous vraiment qu'ils soient tous de vrais êtres humains plutôt que des robots ?

Qui avec quelle autorité, à votre avis, pourrait empêcher que le Web actuel, hypercentralisé sur des "services" universels, ne soit en même temps le coeur d'une machinerie géante de manipulation médiatique, par l'instrumentalisation de tous les medias et organes de diffusion d'informations et de savoirs ?

A quoi peuvent servir d'éventuelles discussions internationales sur le droit associé aux "données personnelles" dans un univers où aucune notion commune de la "personne" ne peut exister ?

Vous trouverez d'autres utiles questions et arguments dans notre billet déjà ancien sur l'affaire Safari. Concernant la comparaison au Big Brother voyez notre billet Comment peut-on ne pas aimer Facebook ? et concernant les moteurs de recherche, notre billet Pensées d'un requêteur d'occasion.... Ajoutons, pour les lecteurs un peu curieux, qu'une requête "Wired NSA" sur un moteur de recherche vous mènera probablement encore vers un article publié début 2012 par la revue Wired, disponible à l'époque en Europe continentale notamment dans la version UK de ladite revue. Ce long article abonde sur la matérialité colossale des investissements informatiques consacrés principalement au craquage des communications cryptées sur Internet. Vision locale, partielle, défensive...

12 fév. 2013

Emprise numérique, méprise démiurgique

emprise_num_0.jpg Ce bouquin, "L'emprise numérique" par Cédric Biagini (Editions L'échappée, 2013), est un modèle d'appel à la conscience critique, en chapitres bien écrits, lisibles en lecture rapide. Pourquoi en France le sommaire est-il traditionnellement reporté à la fin des livres ? Ce type d'ouvrage gagnerait encore en lisibilité avec un sommaire en tête.

Le ressort principal de la dénonciation est la mise en opposition entre d'une part les déclarations publiques de représentants du nouveau monde des nouvelles technologies et à l'opposé, les réflexions de penseurs contemporains et certains résultats d'études scientifiques récentes.

Les sujets abordés sont d'actualité : réseaux sociaux, interactions et recherches sur Internet, téléphones portables intelligents (smartphones), liseuses électroniques, enseignement assisté par ordinateur, numérisation du savoir, augmentation des performances humaines, etc.

L'ouvrage contient une documentation à jour (début 2013) des études sur la dépendance aux bidules high tech et sur les méfaits de l'addiction aux écrans, en particulier par la création de déficits mentaux chez les enfants. Plusieurs mythes sont démontés au passage, notamment par le rappel des énormes quantités d'énergie nécessaires à la construction puis au fonctionnement des matériels de nouvelles technologies en réseaux, et par l'évocation des situations meurtrières entretenues autour de l'extraction des ressources rares utilisées dans la construction de ces matériels.

Donc : bravo pour la synthèse ! Tout le monde devrait avoir lu ce bouquin !
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Risquons quelques observations.

Bizarrement, tout un pan de la critique habituelle d'Internet est absent. Par exemple : on ne trouve pas grand chose sur notre exposition individuelle croîssante à des influences mentales de mieux en mieux ciblées et de natures bien plus diverses que d'étroites incitations marchandes, et au plan des prospectives encore fumeuses, rien sur les tentatives et tentations de la démocratie en réseau.

Quel est donc le projet qui nous est proposé, dans l'hypothèse favorable où la lecture de l'ouvrage nous ouvre la conscience ? Voyons cela vers la fin de l'ouvrage.

Page 398
"Il s'agit donc de formuler une critique sociale et politique des nouvelles technologies qui s'inscrive dans une contestation plus globale de la société industrielle."

Page 408
"Pour retrouver la plénitude de la présence au monde, à soi et aux autres, nous devons nous réapproprier nos conditions matérielles d'existence en exerçant nos capacités de sensation, de réflexion et d'action dans des activités qui font appel à des savoir-faire, qu'en tant que producteurs nous pouvons maîtriser - caractéristiques de ce que l'on appelle le métier. Le métier requiert de bien savoir faire un ensemble de tâches dans un domaine particulier, après une période d'apprentissage, dans la durée, en acquérant de l'expérience et en étant attaché à son activité."

Hé bien moi aussi, je trouve que la société humaine est mal faite et que personne ne s'intéresse vraiment à moi ni à ce que je fais, sauf mon chien. Moi, robot humain de 7ème génération, j'adhère donc sans réserve aux déclarations extraites des pages 398 et 408, et j'attends l'avènement d'une nouvelle société certifiée ISO afin de pouvoir m'y réaliser pleinement....

Sérieusement, on peut trouver l'ouvrage faiblard en termes de solutions, mais on doit reconnaître que son titre n'annonce pas notre libération, seulement la dénonciation de nos liens de dépendance, ce qui est déjà beaucoup.

Néanmoins, on peut regretter l'absence d'un relevé des apports des techniques numériques, concernant par exemple les relations numérisées entre les individus et les administrations, les conférences à distance, le partage de projets et de savoirs à l'intérieur de communautés en réseau, etc. Ce relevé (pas si simple à établir) aurait apporté une illustration concrète de ce qui doit être encouragé, renforcé, et dans quelles directions, par opposition aux poisons déshumanisants sans forcément exclure le divertissement ni le commerce affichés comme tels. Certes, une telle sélection est porteuse d'un risque de connivence avec des technologies par ailleurs perverties. Cependant, on connaît assez bien les mécanismes d'avilissement des technologies - le bouquin en apporte la preuve - pour savoir s'en prémunir sans attendre la création d'un modèle renouvelé de "la" société en grand qui règlerait tout - par qui pour quand ? De plus, rien n'empêche de préciser le but recherché et les conditions d'emploi pour chaque technique sélectionnée, retournant ainsi en notre faveur l'argument de la non neutralité des technologies.

Car des critères pratiques de sélection, des objectifs fonctionnels, des conditions d'emploi, peuvent être tirés des principes techniques originels du Web en architecture décentralisée, et d'une réflexion anthropo-sociologique sur le ratage de cette opportunité originelle de dialogue constructif entre les humains par delà les générations et les cultures - précisément alors que cette opportunité est à l'inverse trop souvent présentée comme étant complètement réalisée spontanément, dans des exposés techniques ineptes et des argumentaires publicitaires de surface.

Cette analyse et cette réflexion, nous les avons faites par ailleurs, à partir du problème permanent de la transmission des compétences personnelles entre des individus (d'où notre sensibilité particulière à la page 408)...

Ensuite, pour imaginer à quoi pourrait ressembler un Web au service de l'humanité, lisez notre blog !

1 janv. 2013

Pensées d'un requêteur d'occasion

J'avais une question.

J'ai voulu savoir ce qu'on trouvait sur Internet.

C'était une question un peu vague mais obsèdante, du genre qui me revient pendant des semaines et qui file au loin juste avant que je la reconnaîsse.

J'ai tapé un mot, les autres sont venus tout seuls, j'ai cliqué sur une ligne toute faite, j'ai eu des pages de réponses, j'ai appris plein de choses à raconter.

Et j'ai oublié ma question.

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Gunnm6.jpg "Aucun document ne correspond à votre requête..."

Bizarre, quand je pense aux autres fois où, sans rien demander de particulier, je reçois un flot de réponses à partir d'une interprétation partielle ou très approchée de ma requête.

Et puis, à la base, c'est présomptueux, cette affirmation qu'il n'a rien pour moi. En réalité, le moteur de recherche ne s'est pas foulé, il n'a rien trouvé dans le délai qu'il s'autorise pour avoir l'air malin.

De toute façon, il me ment grossièrement en affirmant qu'il n'existe aucun document en réponse à ma demande. Il n'a cherché que dans ce qu'il connaît. Et je sais bien que tous les "documents" sur Internet ne sont pas rendus accessibles.

En plus, tout n'est pas sur Internet, il devrait le savoir d'une manière ou d'une autre.

Bref, c'est comme si c'était mon échec, pas le sien.

Là, c'est trop ! C'est insupportable, ce petit mensonge indigne "Aucun document..." pour entretenir la fable de l'omniscience d'Internet, le dogme de l'infaillibilité du tout puissant moteur de recherche...
Une page blanche à découper pour faire une cocotte en papier manifesterait moins de mépris pour l'imagination.

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Par construction, pour qu'un moteur de recherche soit performant, ce ne sont pas les réponses qui sont toutes faites, ce sont les questions.

Ce n'est pas de la littérature, c'est de la mécanique - du logiciel si vous préférez.

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L'avis majoritaire, on sait trop bien comment cela peut se fabriquer...

L'imposition d'un avis majoritaire n'a donc rien de neutre, même par une méthode douce comme l'ordre de présentation des réponses aux requêtes.

D'autant moins que cet ordre peut être manipulé par des artifices techniques ou par une contribution financière.

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Il faut être naze pour s'émerveiller d'une technique porteuse d'un pouvoir mental dont les pires des dictatures ont rêvé.

Il faut être complètement naze pour croire à la gratuité d'un service rendu sans contrepartie par cette technique.

N'empêche qu'il serait idiot de ne pas l'utiliser.

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Un moteur de recherche peut-il faire une différence entre l'unanimité et le plagiat banalisé ?

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Sur les grandes questions, il semblerait que les traces d'existence d'un débat se trouvent autant dans les encyclopédies que dans les toutes dernières déjections des people.

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Les réponses d'un moteur de recherche, c'est le "on dit" à propos des mots contenus dans la requête.
Plus exactement c'est ce qui est majoritairement retenu par les computations statistiques d'un logiciel dont "on" peut programmer le fonctionnement et la manière de présenter les résultats.

Et alors, personne ne trouve cela terrifiant ? Tandis que tant de gens prennent comme "la vérité" ce qu'ils trouvent sur Internet ?

Qu'une méthode de sélection inavouable ait toujours existé dans le monde de la "culture", est-ce un argument pour justifier une informatique aussi minable ?

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Souvent, dans les réponses à certaines questions, dont celles du domaine des cultures et civilisations, le non-dit porte le sens autant que le dit.

Pourquoi, s'il est si important, le non-dit n'est-il pas exprimé ? Parce que ce non-dit va de soi dans une culture ou un contexte donnés, parce que ce non-dit est le porteur de l'immense arrière plan de l'ignorance et de l'adversité communes à une culture donnée.
Exemple. La devise de mon pays "Liberté, Egalité, Fraternité" ne dit ni "liberté", ni "égalité", ni "fraternité", mais les trois ensemble en équilibre. La traduction de cette sorte d'équilibre par une fréquence d'association entre des concepts unitaires, c'est pertinent dans un modèle statistique, intéressant pour des chercheurs savants, mais carrément erroné pour un requêteur d'occasion.

Comment un automate logiciel peut-il pressentir l'existence d'un non-dit, éventuellement en évaluer l'importance dans la réponse à une requête : question d'avenir ?

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1 oct. 2012

Comment peut-on ne pas aimer Facebook ?

L'ouvrage collectif "J'aime pas Facebook" vient de sortir en France (collection Manuels Payot). Honnêtement, au plan de la forme, nous préférons le premier ouvrage d'Ippolita publié en France, "Le côté obscur de Google", plus directement accessible. En effet, une partie de l'ouvrage sur Facebook ressemble à une thèse de sociologie. Espérons que pour beaucoup de lecteurs, ce sera un avantage.

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Voici les principaux points de convergence avec le contenu de notre modeste blog :

  • l'histoire de la gestation et du développement de Facebook est un maquillage en version universitaire - entrepreneuriale d'une réalité comprenant d'importantes contributions non comptabilisées,
  • la plate forme Facebook apporte zéro innovation technique, ce n'est qu'un emballage de composants existants,
  • le gaspillage énergétique de l'architecture centralisée est énorme en comparaison d'une architecture en noeuds fédérés (par exemple),
  • la gratuité n'est qu'apparente, l'utilisateur est soumis à un ciblage publicitaire; pour ce faire, ses données et son comportement sont recueillis, analysés pour améliorer ce ciblage,
  • le réseau social contraint ou incite chacun au maximum de transparence sur sa personne, ses goûts, ses choix, etc.
  • dans ces conditions, la contribution du réseau social aux mouvements révolutionnaires récents est évidemment surfaite, par rapport, par exemple, au simple téléphone portable
  • le réseau social n'est pas une nouvelle société, c'est un théâtre en agitation chronophage où chacun se donne à voir en conformité à son profil, et réciproquement.

En comparaison, notre blog diffère ou apporte des éléments supplémentaires sur les principaux points suivants :

  • l'utilisateur d'un réseau social ne doit pas être considéré comme la victime d'une tromperie qu'il suffirait de dénoncer pour qu'il se pose des questions et se révolte; non, l'utilisateur reste totalement volontaire, véritablement et humainement en pleine conscience; le scandale n'est pas que l'homme soit un animal, c'est qu'il aspire à la machine - et ceci, par construction;
  • le risque de manipulation de l'utilisateur d'un réseau social ne se manifeste pas seulement par une pression publicitaire ciblée, mais par l'asservissement mental à la propagande diffusée à travers l'ensemble des media d'une manière bien coordonnée par un gigantesque système d'observation et d'influence des comportements; les adhérents des réseaux sociaux sont les premiers à restituer naïvement l'impact des messages diffusés par diverses organisations clientes du système à partir des analyses en temps quasi réel des données (dès lors naturellement en architecture centralisée); cette grande boucle manipulatoire est permanente, ajustée heure par heure si nécessaire; elle nous projette dans un monde équivalent à celui du roman 1984 de G. Orwell;
  • ou bien les réseaux sociaux ne sont que des gadgets, une mode qui passera, ou bien c'est une monstruosité qui doit être détruite et remplacée par autre chose; dans ce dernier cas, c'est l'utilisateur qu'il faut changer, ce sera la révolution numérique pour de bon et cette révolution-là n'a aucun précédent historique; les bonnes intentions, les solutions informatiques libres et décentralisées ne suffiront pas, du simple fait qu'il s'agit d'abord de faire société dans un univers numérique, et que cette réalisation-là ne relève pas seulement de l'ingéniérie informatique mais aussi d'une ingéniérie sociale; il faut retrouver les ressources techniques du lien social communes à toute l'humanité, actuellement ignorées par les réseaux sociaux;
  • c'est pourquoi, nous proposons une étiquette universelle adaptée aux relations sociales numériques, un cadre pour la création de véritables sociétés virtuelles à finalités définies et formellement constituées... Voir ailleurs dans ce blog.

Au plan théorique, pour terminer la critique de l'ouvrage d'Ippolita, nous sommes en accord avec la dénonciation d'un modèle de société "libertarien" opposant la liberté individuelle à toute forme de contrainte, et faisant la promotion de l'entreprise business comme l'idéal de toute collectivité. En accord avec cette critique, pour nous, l'une des principales urgences de notre temps est de redonner vigueur aux collectivités à finalités d'intérêt général (plutôt qu'aux collectivités de protection), et spécialement dans l'espace numérique.

3 sept. 2012

Le Web de la propagande et du formatage

La bête immonde reste bien planquée, mais ses mercenaires stupides ne se retiennent plus d'étaler leur fierté.

Ce qui est nouveau, c'est la revendication de leur diplôme d'apprenti sorcier par des bénéficiaires que l'on aurait cru moins naïfs.

Dans un élan de franchise, dont le niveau de grossièreté mesure la sincérité, un grand parti politique impliqué dans la course à la présidence de notre univers vient de révéler la contribution à sa campagne d'une officine spécialisée dans l'exploitation d'informations recueillies sur le Web.

Pour ce parti, il s'agirait de cibler les foyers susceptibles d'enrichir les fonds de campagne. Ne doutons pas une seconde que ce grand parti n'est pas isolé dans sa démarche d'appel à une officine mercenaire de ciblage. Ne doutons pas un dixième de seconde qu'il ne s'agit pas seulement de récolter des fonds (vite dépensés). mais d'abord d'orienter les thèmes de campagne, de les particulariser en fonction des réactions observées sur le Web de la population ciblée, et d'orchestrer tout le bastringue médiatique, presse, télévision, meetings, etc dans le sens voulu, en vue d'effets en profondeur sur l'opinion, qui seront ensuite entretenus et améliorés dans la durée.

Bref, nous avons la révélation d'une machine de guerre médiatique. Nous pressentons que cette guerre-là dégrade nos chères libertés d'information et libertés d'esprit, mais c'est une guerre, n'est-ce pas ? Notons bien que rien n'empêche l'extension du cadre de cette guerre au-delà d'un processus d'élection dans un régime démocratique.

Quand est-ce que de prudes et vaillants foyers se coaliseront en class action pour réclamer droit de regard, droit de rectification, respect de l'usage des informations les concernant ?

D'ici là, l'officine mercenaire aura changé plusieurs fois de nom et d'adresse (on peut lui conseiller la domiciliation de filiales croisées dans divers paradis fiscaux). Et des experts reconnus auront expliqué que non, braves gens, vous n'avez rien à craindre, car les ciblages ne sont pas réalisés à partir des données individuelles mais sur la base d'informations agrégées par des algorithmes statistiques.

Les experts ne diront pas que ces algorithmes statistiques sont cousins de ceux des moteurs de recherche, en fonctionnant à l'envers en quelque sorte. Ce n'est pourtant pas anodin.

Un gros malin manipulé pondra un virus qui fera pouet pouet exactement quand il faut sur tous les écrans, et le tour sera joué : voici l'ennemi véritable de notre intimité ! La presse abondera en articles sur la protection des données privées, des droits de la personne humaine, des brevets et du secret défense. Opération mains propres.

Voici la situation, en bref :

  • ce n'est plus (seulement) la publicité qui finance les grands services gratuits du Web, et d'ailleurs elle n'a jamais financé la création immensément coûteuse de ces services,
  • le grand marché du Web, c'est la fourniture des informations numérisées de nos comportements (qui consulte quoi, combien de fois et combien de temps, qui dit ou achète quoi à qui, quand, où, comment, etc.) pour exploitation par les manipulateurs médiatiques des pouvoirs dominants,
  • la révolution numérique, c'est celle de l'auto soumission de nos esprits à un matraquage multimédiatique ajusté en permanence, en fonction de nos propres aspirations exprimées sur le Web.


Exercice pour jeune journaliste ou pour étudiant en sciences politiques : rédigez une synthèse actualisée de Propaganda d'E. Bernays (1928) ! C'est une oeuvre glaçante mais fanatique, où sont exposées les techniques bien actuelles de propagande, ainsi que les éléments de doctrine qui les justifient et en ont alimenté l'invention. Pensez-vous que quiconque puisse nourrir le moindre doute sur l'utilisation par tout citoyen Bernays moderne des informations de comportement pompées sur le Web ? Pour quels bons motifs actualisés et quelles campagnes ?

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Dans le célèbre roman 1984 de G. Orwell publié juste après la deuxième guerre mondiale, apparaît le personnage de Big Brother, avec bien d'autres terrifiantes créations imaginaires. Notre réalité est bien différente. Par rapport au roman, nous n'avons pas de police officielle de la pensée, et les murs ne nous espionnent pas. Mais nous pourrions nous demander si, avec la révolution numérique, Big Brother aurait besoin de cette police et de ces espions pour se rendre maître de nos esprits. Car c'est volontairement que nous restons hypnotisés devant des miroirs magiques que nous croyons commander pour notre bon plaisir, pour y faire défiler des trésors virtuels préconditionnés en fonction des déformations agréables de nos propres images. Nous avons fait mieux que tous les romanciers, nous avons créé l'hybride de la liberté et de la mort, le dieu d'un monde d'automutilation où chacun se résume pour les autres à un miroir vaguement original d'hallucinations communes.

Vraiment, cette technologie n'a rien de merveilleux. Car, en plus de nous prendre un temps fou, elle coûte énormément d'argent et dévore une énergie gigantesque.

8 mai 2012

Révolution numérique en toc, régression sociale en béton

Que voyons-nous sous l'appellation de révolution numérique dans la société ?

Un gigantesque développement des télécommunications interindividuelles. Merveilleux, n'est-ce pas ? Nous voyons bien chaque jour à quel point ce progrès participe à la reconnaissance entre les peuples, à la bonne entente entre les personnes, à l'ouverture à l'autre. C'est plutôt une forme nouvelle de distanciation empathique qui s'installe. La combinaison du conformisme et de la communion dans les défoulements instinctifs évite l'affrontement, mais aussi le dialogue. L'apparence bienveillante obligatoire, la fuite préventive devant l'opposition, l'ignorance de la contradiction, la convenable implication hébétée en face des conflits ouverts, affirment des vertus diplomatiques en voie de généralisation à toute l'humanité. Mais que pourrait être un monde entièrement peuplé de diplomates, quelle serait leur maison, leur responsabilité, pour quoi faire sinon pour préserver leur idée de bonheur égoïste ?

Une grande facilité d'accès à un savoir encyclopédique. "On sait tout sur tout". Oui, mais qu'en fait-on ? Pourquoi, par exemple, l'empreinte écologique de nos sociétés riches ne fait-elle qu'augmenter et pourquoi les peuples démunis le sont-ils de plus en plus ? Est-ce qu'avec nos nouvelles technologies, nous n'avons pas renforcé la tendance à confondre "savoir" et "archive bien tenue", "compétence" et "capacité d'en parler", "volonté de faire" et "alimentation de dossier" ? Pour en rester aux "archives bien tenues", avons-nous pris la mesure de leur incohérence grandissante au fil du temps, de la difficulté croïssante à restituer d'anciens contenus techniquement désuets et devenus parfois incompréhensibles hors de leur contexte originel de lieu, d'époque et de culture ? Ou bien le Grand Projet est-il de retenir une seule encyclopédie de l'instant, en déclarant que rien d'autre n'existe ?

Les réseaux sociaux. Tout a été répété à leur sujet, sauf deux évidences importantes. Premièrement, les réseaux sociaux sont des extensions de la société réelle telle qu'elle est; donc, du point de vue de l'innovation sociale, c'est zéro, un joujou. Deuxièmement, les réseaux sociaux (comme d'autres services aimablement offerts sur le Web) alimentent en arrière plan les sondages de comportements et d'opinions en temps réel qui servent à construire les "événements" et les "inforrmations" diffusés dans l'ensemble des media, et dont l'impact se mesure directement en retour dans lesdits réseaux sociaux. Donc, aucune chance qu'une innovation sociale surgisse de cette grande boucle d'asservissement des esprits.

Les dangers du numérique ? Les risques sur la divulgation de données individuelles, les piratages, etc. sont mis en avant pour qu'on ne parle pas de la grande boucle manipulatoire dont le Web est devenu le creuset. Le lobbying des marchands, qui par ailleurs possèdent la plupart des monopoles du Web, finira par produire un jour l'équivalent d'un droit international des affaires sur le Web, parsemé d'ambigüités et de contradictions pour préserver le business des avocats. Ne serait-il pas plus important de combler le vide béant entre la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et la Netiquette ? Il faudrait pour cela d'abord admettre que les individus sont par nature capables de créations sociales et leur en reconnaître la liberté. Actuellement, nous sommes tous incités à nous fondre dans un Disneyland virtuel "gratuit" universel - il y aurait pourtant de quoi se méfier.

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Une révolution numérique sans création sociale, c'est une révolution en toc, qui masque l'évidence d'une régression sociale au fond. La révolution numérique ne peut être que celle de la création de sociétés virtuelles diversifiées, par l'usage d'une liberté de réalisation d'utopies sociales - nouveauté historique, ces utopies ne présenteraient aucun danger mortel pour "la" société et la liberté de les créer en sociétés virtuelles pourrait donc être reconnue.

La vraie révolution numérique suppose une révolution des sciences sociales de sorte qu'elles deviennent créatrices de lien social, que nous sachions fonder des sociétés virtuelles viables, et les faire vivre avec les règles de fonctionnement et les étiquettes de comportement adaptés. Cette révolution numérique implique un retour à l'architecture décentralisée du Web, au contraire de sa concentration totalitaire sur quelques services centralisés. Cette révolution numérique nécessite la mise en place sur le Web de services communs spécifiques aux sociétés virtuelles, afin d'en permettre le fonctionnement et la pérennité.

Voir ailleurs dans ce blog pour les détails...

31 mar. 2012

Qui sont les clients du Web de propagande

Voici quelques uns des vrais clients de la grande machinerie d'analyse statistique du Web. Ceux-là sont officiellement des manipulateurs, c'est leur métier. Laissons les agences et officines gouvernementales dans l'ombre...

ThinkTanks.jpg Indus_mensonge.jpg Un pouvoir sous influence de Robert Lenglet et Olivier Vilain (Armand Colin, 2011) nous parle des think tanks financés par les puissances d'argent, qui alimentent en pensées minutes et rapports imposants certains partis politiques, certaines associations, syndicats et institutions, et jouent de leur notoriété auto proclamée auprès des media pour propager leurs idées, sous divers costumes de circonstance et au travers de divers personnages reconnus.

Commentaire. D'autres agents d'influence du pouvoir sont les cabinets de consultants en management. Par rapport aux think tanks, la différence principale réside dans le mode de financement et dans le domaine d'action, pas tellement dans les finalités ni même dans les méthodes. Mais au total, on peut aussi considérer que les principaux organes d'influence du pouvoir sont en réalité les personnages au pouvoir eux-mêmes, dont les think tanks et les consultants ne sont que les reflets. Par exemple, la pratique courante est que tout grand dirigeant se fait expliquer par des consultants comment fonctionne l'organisation où il vient d'être "nommé". C'est choquant a priori, contraire à toute humanité, insultant pour la raison, mais logique dans une société de castes.

L'industrie du mensonge - Relations publiques, lobbying et démocratie - de John Stauber et Sheldon Rampton (Agone, édition 2012 de la traduction d'Yves Coleman, avec préface et compléments par NIcolas Chevassus-au-Louis et Thierry Discepolo) nous parle des manipulations par les lobbies, de leurs méthodes de romans d'espionnage. Il s'agit bien entendu des Etats Unis. Les commentaires ajoutés fournissent quelques illustrations domestiques, et nous font penser à beaucoup d'autres cas "exemplaires".

17 mar. 2012

L'affaire Safari, cela fait rire

Encore une fois, un génie de l'informatique fait l'actualité.

Et, encore une fois, il s'agit du terrain sacré de la préservation de nos informations personnelles sur Internet.

Une version du logiciel navigateur Safari aurait été bidouillée pour le traçage de l'utilisateur, en ignorant même d'éventuels paramétrages personnalisés en faveur de la discrétion. Pour une fois, le bidouilleur génial serait un salarié d'une grande entreprise de l'informatique. D'où scandale, procès, fric et fantasmes...

Revenons sur terre.

L'affaire Safari nous rappelle que les logiciels peuvent être bidouillés pour faire un peu autre chose que ce que nous leur demandons, et même carrément l'opposé de ce que nous leur demandons !

Le logiciel libre n'est pas LA solution. Pourtant, ce concept apporte une partie de solution, notamment par la publicité du code. Mais rien n'empêche un bidouilleur d'y dissimuler des suppléments mafaisants, et bien malin le professionnel chevronné qui pourra les détecter parmi des milliers de lignes ! Les régressions au fil des versions des logiciels piliers du "libre" témoignent de la difficulté de ce type d'exercice et manifestent malheureusement aussi le défaut de compréhension du problème. Ce sont les protestations d'utilisateurs qui provoquent les enquêtes, et les régressions restent définitivement inavouées ou publiées à la sauvette dans des forums hyperspécialisés après que les corrections soient effectuées.

De quoi serions-nous fondés à nous plaindre ? La plupart de nos logiciels d'utilisation courante sont gratuits et chaque utilisateur en accepte les "conditions d'utilisation" à ses risques et périls.

Tout de même, posons quelques questions super naïves : quelle autorité pourrait nous garantir que notre navigateur Internet préféré est "sain" ? Qui d'ailleurs aurait la capacité technique d'analyser en profondeur les versions successives des logiciels communiquant avec Internet ? Qui aurait l'autorité de faire publier les résultats de telles analyses dans quels medias indépendants ? Qui aurait ensuite le pouvoir de faire respecter quelles règles précises reconnues universellement, le pouvoir de faire appliquer quelles injonctions et pénalités significatives et immédiates aux contrevenants ?

A titre individuel, à condition d'y consacrer pas mal de temps, chacun de nous dispose du pouvoir de contrôler en détail tout le trafic de ses propres logiciels avec l'Internet, au moins le trafic vu par un proxy ou un pare feu suffisamment collaboratif (lui aussi potentiellement félon). De toute façon, ce contrôle individuel ne pourrait satisfaire que son propre usager sans déboucher sur aucune possibilité pratique d'influer sur son destin d'utilisateur cobaye, sauf en rêvant d'actions judiciaires collectives - sans espoir de concrétisation, voir les questions à la fin du paragraphe précédent. Quant à la création d'un organisme labelliseur des logiciels Internet, elle ne pourrait réussir que par une forme d'organisation collective et démocratique, propre à Internet, préservée de tous les autres pouvoirs, à inventer...

Donc, au total et encore une fois, l'affaire Safari relève d'un type d'événement faussement sensationnel, peut-être d'un épisode publicitaire des luttes sournoises entre les dieux de l'Internet, en tous cas d'une péripétie supplémentaire destinée à nous entretenir dans l'illusion qu'il existerait une morale du Web.

La réalité brute, c'est que tous les géants de l'Internet ont les moyens de connaître nos identités et nos comportements sans recourir à aucun bidouillage (le pompon, ce sont les réseaux sociaux où la fourniture des informations est volontaire), et qu'ils ne peuvent être taxés d'espionnage des individus puisqu'ils n'en font qu'une exploitation statistique. Le reste, c'est le vent de l'actualité et des affaires, avec leur dose de frayeurs distillées pour le bien-être de nos esprits soumis.

11 mar. 2012

Transition du blog Web A Version

A partir de mi mars 2012, l'actualité va gouverner ce blog, selon la loi du genre.

Il faut faire preuve d'actualité ou rester inaudible.

Donc, nous passons à la deuxième étape de notre projet, après avoir posé les fondements théoriques et techniques d'un Web social alternatif. Nous en profitons pour élargir notre domaine de dénonciation à tous les systèmes esclavagistes de la pensée.

Quel programme : faire exploser les ballons publicitaires, disperser les sottises à la mode, faire rêver d'un autre Web !

C'est que le Web est devenu le moteur d'agglutination et de résonance des systèmes de manipulation. Par un contresens géant mais complètement dissimulé, le Web a été instrumentalisé pour devenir le creuset d'élaboration et de perfectionnement des propagandes ciblées, par l'exploitation d'une énorme machinerie statistique d'arrière plan capable de restituer tous types d'analyse des identités, comportements, idées et contenants quasiment en temps réel. Tous les medias y sont associés et en dépendent désormais. Il faut s'intéresser à la globalité du phénomène, mettre en lumière son fonctionnement par l'entretien de l'urgence et par l'imposition répétée d'un sous-ensemble de références automatiques et de termes de langage réflexes, afin d'induire l'authenticité immédiate, la précipitation du consensus minute, le soulèvement des émotions partagées...

Même dans la posture du dénonciateur visionnaire, le risque de contagion de nos écrits par la banalité de l'instant est élevé, leur crétinisation par le buzz atteint le niveau de la certitude. Nous tenterons de préserver la grandeur de notre sujet en nous accordant un délai de réflexion et en sélectionnant les événements. Bref, l'actualité sera plutôt celle de nos lectures que celle des titres et des annonces.

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« Pour la première fois de son histoire, l’humanité va donc devoir prendre des décisions politiques, de nature normative et législative, au sujet de notre espèce et de son avenir. Elle ne pourra le faire sans élaborer les principes d’une éthique, qui doit devenir l’affaire de tous. Car les sciences et les techniques ne sont pas par elles-mêmes porteuses de solutions aux questions qu’elles suscitent. Face aux dérives éventuelles d’une pseudoscience, nous devons réaffirmer le principe de dignité humaine. Il nous permet de poser l’exigence de non-instrumentalisation de l’être humain. » Extrait d'un exposé du directeur général de l’UNESCO, M. Koïchiro Matsuura, sur le thème «L’espèce humaine peut-elle se domestiquer elle-même ?», le 30 mars 2006.

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